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cette doctrine. — Paris, 11 décembre 1833. — LAMENNAIS. » — Ces différens actes avaient été obtenus, l’un après l’autre, par les sommations directes ou indirectes de la cour de Rome. Ainsi, en dernière analyse, Lamennais avait cédé ; il avait cédé sans réserve ; il renonçait même aux réserves qu’il avait ajoutées à ses premières renonciations. Il semblait que tout était fini et consommé, lorsqu’un acte nouveau, inattendu, vint tout remettre en question, ou plutôt tout détruire, et à une soumission finale substituer une révolte absolue et une rupture définitive.

Sans nous prononcer sur cette nouvelle déclaration de guerre ni même sur le fond des choses, il nous semble que dans cette lutte de dix-huit mois entre l’église et un homme, il nous semble, dis-je, que la cour de Rome a été bien dure, bien impérieuse, bien exigeante pour un grand homme, qui, en définitive, n’avait jusque-là, comme catholique, commis aucun péché. Car la conception de la politique catholique défendue par l’Avenir était une thèse libre, au moins tant que Rome n’avait pas parlé ; même l’annonce de la reprise du journal pouvait bien être une faute ; mais enfin ce n’était pas une faute catholique, puisque l’église n’avait encore rien dit : c’était une imprudence et un manque d’égards, mais ce n’était pas encore un acte de révolte. Dans ces conditions, quelques ménagemens eussent peut-être été dus au plus énergique, au plus éloquent défenseur que le catholicisme et l’église romaine eussent eu dans notre siècle. Quand on songe aux adresses, aux ménagemens, aux souplesses, à l’esprit de patience que l’église catholique manifeste envers les puissances de ce monde, quand elle est en conflit avec elles, on se demande si quelque chose de cette douceur et de cette patience n’aurait pas pu être employée à l’égard d’un grand génie et d’une grande âme. Nous sommes loin de blâmer la condescendance de l’église envers les pouvoirs humains : car les choses humaines sont les choses humaines ; les affaires sont les affaires. Mais parmi les affaires humaines, ne faut-il pas compter aussi l’état des cœurs ? Atteindre un cœur dans ses plus chères convictions, briser une volonté qui ne demande qu’à se soumettre, mais demande aussi à ne pas être accablée, foulée aux pieds, est-ce bien conforme à la mansuétude chrétienne ? Ce que l’on demandait à Lamennais, ce n’était pas la soumission, mais une soumission absolue, illimitée, sans aucune réserve. La soumission, Lamennais l’avait faite. Dans une lettre écrite au pape, le 5 novembre 1833, il déclarait se soumettre à l’encyclique : 1° en tant qu’elle déclarait la tradition apostolique ; 2° en tant qu’elle réglait les points de discipline. De plus, il avait déclaré dans une lettre antérieure qu’il resterait désormais en dehors des affaires de l’église.