Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/940

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le bon marché et l’agrément de la vie y ont retenu beaucoup de visiteurs, et ainsi s’explique le nombre de familles anglaises fixées et en quelque sorte naturalisées dans les îles de la Manche. Il y a cinquante ou soixante ans qu’a commencé cette occupation pacifique, et avec elle l’assimilation de l’archipel à la métropole, devenue toute voisine par la navigation à vapeur. Cette émigration se porta de préférence sur Guernesey, plus rapprochée de l’Angleterre et plus anglisée aujourd’hui que Jersey.

Les hautes classes prirent rapidement le ton britannique, et la population des deux villes suivit. Saint-Hélier et Saint-Pierre-Port ont l’apparence de villes anglaises. Les noms anciens des rues ont survécu dans la mémoire et le langage de quelques habitans. La place Royale de Saint-Hélier s’appelle encore en patois le Vier-Marchi (Vieux-Marché) ; mais ce n’est que par les livres ou les anciens plans que l’on peut savoir les noms des voies au début de ce siècle, noms souvent pittoresques ; car on ne connaît plus que Old-Street au lieu de Vier-Chemin, Regent-Road au lieu à rue du Frêd-Vent, et Church-Street au lieu de rue Trousse-Cotillon, où s’engouffrait le vent de la rade. Ces anciens noms ont disparu des murs de la ville sans y laisser aucune trace. A Saint-Pierre-Port de Guernesey, nous avons relevé, à deux coins de rues, deux noms gravés trop profondément dans la pierre pour qu’on eût pris la peine de les faire disparaître : Ruelle-Brûlée et Rue-aux-Prêtres. Le nom si connu aujourd’hui de la résidence de Victor Hugo, Hauteville-House, indique bien par sa forme hybride, comme dans les dénominations locales, que l’anglais a supplanté le français ou s’est fondu avec lui. — Tel est du moins l’état de choses dans les deux villes : les paroisses rurales de Jersey et de Guernesey ont encore gardé leur caractère normand et français.

La double nationalité de l’archipel rend la presse mixte. Jersey a aujourd’hui deux journaux français, la Chronique, fondée en 1814, et la Nouvelle Chronique, fondée en 1855, paraissant chacune le mercredi et le samedi[1], et quatre journaux anglais, mais dont un seul, la British Press, paraît tous les jours (sauf le dimanche, bien entendu). Guernesey a deux journaux français paraissant seulement le samedi : la Gazette de Guernesey, fondée en 1791, et le Bailliage, fondé en 1882 ; et cinq journaux anglais, mais aucun quotidien[2]. Les journaux français de l’archipel offrent un mélange

  1. Ces journaux tirent de 1,500 à 2,000 exemplaires. Le tirage est plus élevé le samedi, à cause du marché qui amène les gens de la campagne à la ville de Saint-Hélier.
  2. Voici les chiffres de tirage de ces différens journaux : le Bailliage, 500 ; la Gazette de Guernesey, 400 ; le Guernesey Advertizer, 3,600 ; le tirage des autres journaux anglais de Guernesey varie de 1,000 à 1,200.