Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/909

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsqu’on ajoute de l’eau dans un vin, on affaiblit la teneur en alcool par le fait de l’augmentation de volume produite, et, par la même raison, on atténue l’acidité. Si, par-dessus le marché, l’eau employée par le « mouilleur » est de nature calcaire, l’effet produit est encore plus net, car alors la chaux dissoute sature une partie de l’acidité. Versons 25 pour 100 d’eau de puits dans notre vin du Gers de tout à l’heure, le mélange ne pèsera plus que 8 degrés ; l’acidité absolue, partiellement détruite par la chaux, tombera de 4 à 3.5 et, rapportée au litre, subira un nouveau déchet qui l’amènera à 2.8. Comme 8 et 2.8 ne font que 10.8, l’insuffisance du coefficient alcool-acide devient manifeste, et la fraude serait trahie sur-le-champ aux yeux d’un chimiste.

Il semble au premier abord qu’un vinage frauduleux, — pratiqué, cela va sans dire, au moyen d’alcools de mauvaise qualité, — et destiné à renforcer un vin plat et faible, doive être assez difficile à déceler. On remarquera que le marchand, s’il déverse généreusement des torrens d’eau dans ses barriques de vin, opère avec beaucoup plus de précision s’il ajoute du trois-six et se borne à incorporer à son vin 4 ou 5/100e d’alcool pur, sans jamais dépasser la limite qu’il s’est assignée à lui-même. Comment reconnaître ce faible excès, dont l’influence physiologique n’est malheureusement pas négligeable, et qui force le consommateur à ingurgiter un petit verre de mauvaise eau-de-vie pour chaque grand verre de vin qu’il boit?

Nous avons déjà observé, dans la première partie de ce travail, que le vin figurait un mélange complexe d’élémens divers très nombreux en état d’équilibre transitoire et instable. Quelques grammes d’alcool venant se diffuser dans un titre de vin augmentent à peine le volume total, et cependant abaissent à un certain point le poids de l’extrait par litre. Effectivement, l’alcool étranger trouble toute l’organisation interne du liquide, phénomène qui se manifeste par l’expulsion d’une bonne partie de la crème de tartre. L’acidité diminue encore plus que l’extrait, puisque c’est principalement la crème de tartre qui rend le vin capable de saturer les alcalis[1]. Donc on a lieu de soupçonner qu’un vin est viné lorsque son acidité est insuffisante, lorsque le poids de l’extrait sec rapporté au titre se trouve un peu faible, lorsque le résidu incinéré est relativement plus faible encore, et lorsque enfin on n’arrive pas à une certaine dose de crème de tartre. En Allemagne, on préfère choisir

  1. M. Gautier fait observer que, si on relève artificiellement de 6 unités le degré d’un vin, l’alcool introduit suffit pour faire perdre, par titre de liquide, 1 gr. 1/2 de bitartrate de potasse qui se dépose.