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III.

Parmi les nombreuses méthodes de traitement des vins qui s’offrent à la disposition des négocians en gros peu scrupuleux, des vendeurs au détail malhonnêtes ou des propriétaires trop avides de bénéfice, il n’en est pas de plus simple, de plus universellement employée que le « mouillage » ou addition d’eau au vin. Aussi parlerons-nous en premier lieu de cette pratique, avant d’aborder l’examen des autres falsifications.

Tout d’abord, le mouillage est-il une fraude? Les marchands de vin des grandes villes, les premiers intéressés dans la question, soutiennent naturellement la négative, et, dans leurs meetings, proclament bien haut leur sentiment par l’organe de leurs orateurs. C’est leur droit strict; mais il est probable que la plupart des consommateurs, si on leur demandait leur avis, émettraient une opinion absolument contraire. Circonstance bizarre ! on a vu souvent de fort honnêtes gens, personnellement incapables de commettre la moindre indélicatesse, venir publiquement se faire les défenseurs du mouillage, les avocats des « mastroquets, » et prendre sur eux de déclarer licite et presque loyale l’addition d’eau au vin marchand. Comme toutes les questions qui se rapportent aux vins, le sujet est loin d’être simple et demande une discussion sérieuse ; et si nous nous permettons de condamner cette pratique que d’autres absolvent, nous exposerons du moins les motifs du jugement que nous empruntons aux écrits des chimistes les plus autorisés.

Qu’ils soient de bonne ou de mauvaise foi, les partisans de l’eau dans le vin déclarent que, celui-ci contenant naturellement beaucoup d’eau, une addition supplémentaire de ce liquide ne modifie pas la composition qualitative du vin, et, par suite, que cette pratique n’offre que l’inconvénient d’affaiblir le liquide, inconvénient auquel il est facile, pour le consommateur, de remédier, s’il s’en aperçoit, en buvant un peu plus sec.

Par malheur, le client qui achète du vin n’admet pas ce raisonnement et prétend se faire donner, pour son argent, une boisson sans mélange; un marchand qui essaierait de débiter franchement, sous quelque nom que ce soit, du vin coupé d’eau, risquerait fort de ne jamais rien vendre. La tromperie est donc manifeste. Quant à l’argument « chimique » si l’on peut s’exprimer ainsi, il serait à peu près juste si, dans les entrepôts des gros commerçans ou dans les caves des marchands de vin, on ne se servait jamais que d’eau distillée pour allonger les vins.

Or, non-seulement cette circonstance théorique n’est jamais réalisée,