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Mèze par les fabricans de vin d’imitation[1], Notons seulement que l’alcool, le plus souvent ajouté au moût, quelquefois répandu sur les raisins non encore écrasés, n’était pas le seul agent dont on se servait pour muter. De même qu’une température modérée favorise la fermentation, de même une chaleur suffisante arrête le phénomène. C’est par ce moyen qu’avant le phylloxéra les paysans provençaux préparaient le « vin cuit; » les Romains ignoraient si peu l’effet du chauffage, que déjà ils transportaient au loin des moûts concentrés, qu’une simple addition d’eau ramenait ensuite à un degré convenable de dilution ; les fermens travaillaient de nouveau dans le mélange attiédi, et il se formait définitivement du vin. Depuis peu d’années, les Argentins se sont mis à suivre les mêmes erremens que les contemporains de Pline, et déjà ils expédient en Allemagne des cargaisons de moûts fermentes destinés à faire une concurrence désastreuse à nos vins nationaux. Du reste, au lieu d’employer des appareils tels qu’étuves ou chaudières, il est aussi avantageux, pour peu que le climat s’y prête, et plus économique, d’utiliser l’influence des rayons solaires. Le moût, contenu dans des futailles peintes en noir, pour que les douves s’imprègnent mieux de calorique, est exposé en plein midi.

On a fréquemment muté à l’acide sulfureux en allumant des mèches soufrées à l’intérieur d’un récipient dans lequel une pompe refoule une pluie de moût. L’intervention de l’acide sulfureux arrête complètement la fermentation, il est vrai; mais ce réactif si énergique a le désavantage d’imprégner le moût de gaz sulfureux[2]. Ce dernier s’emploie aussi pour traiter les vins marchands ordinaires, lorsque l’on craint pour leur conservation et qu’on veut prévenir toute fermentation ultérieure ; bien qu’une telle pratique soit loin de présenter les mêmes inconvéniens qu’implique l’addition au vin, dans le même dessein, de l’acide salicylique, elle nous amène tout naturellement à parler des fraudes coupables qui lèsent le consommateur dans sa santé ou dans sa bourse, falsifications dont la science a signalé le danger et que les tribunaux doivent impitoyablement punir.

  1. Il s’agissait non de réaliser des produits de contrefaçon frauduleuse mais d’obtenir à bon marché des imitations de vins exotiques qu’on livrait au commerce sous leur véritable nom, sans en dissimuler la provenance. Du reste, les manipulations pratiquées par des négocians d’une honorabilité incontestable n’avaient rien de mystérieux, ne transformaient que les vins de premier choix récoltés sur les bords de l’étang de Thau, et ne différaient pas de celles qu’emploient encore les vignerons d’Andalousie, de Porto, de Madère ou d’Alicante.
  2. Sous le premier empire, lors du blocus continental, alors que les vins du Languedoc étaient sans valeur et que les sucres coûtaient fort cher, on évaporait les moûts concentrés, puis traités à l’acide sulfureux, pour en retirer de la glucose.