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de « vins de sucre, » par exemple. Malheureusement, débités avec leur véritable étiquette, ils risqueraient souvent de manquer d’acheteurs, parce qu’une bonne partie du public se défiera moins d’un vin frelaté prétendu naturel que d’un liquide sain, loyalement qualifié de piquette ou livré comme vin de sucre.

Les vins artificiels que nous venons de mentionner peuvent être presque toujours reconnus par un chimiste, parce qu’ils renferment un petit excès de sucre non fermentescible ; de plus, éprouvés au polarimètre, ils dévient vers la gauche les vibrations lumineuses. Pour être irréprochables, ces mêmes vins doivent nécessairement avoir été obtenus avec du sucre raffiné de première qualité. L’emploi des sucres bruts et des cassonades est déjà bien moins avantageux, et l’usage des mélasses mérite d’être sévèrement blâmé. Plus les réactifs sont souillés d’impuretés, plus on risque d’introduire dans le vin factice des doses assez notables d’alcools supérieurs dont la présence est fort nuisible. Le préjugé auquel nous avons fait allusion n’est donc pas toujours dépourvu de fondement. N’oublions pas que les matières étrangères qui accompagnent les sucres d’ordre inférieur produisent des effets incomparablement plus pernicieux lorsque la betterave comme matière première remplace la canne, précisément à raison de l’abondance de ces alcools dans le jus de betterave fermenté. Pour un semblable motif, il convient de repousser aussi les glucoses, lesquelles, en outre, préparées avec de l’acide sulfurique, peuvent être accompagnées de principes très délétères, comme les sels d’arsenic. A présent que l’état livre aux agriculteurs du sucre en pain exempt de droits à un prix minime, l’emploi de tout autre succédané devient tout à fait inexcusable.

L’opération du mutage, ainsi nommée parce qu’en arrêtant la fermentation, elle rend le vin « muet », a pour but d’accroître artificiellement dans un vin la dose de sucre. Il existe un assez grand nombre de procédés de mutage ; mais, comme nous l’avons déjà noté, c’est surtout au moyen d’alcool étranger qu’on entrave la fermentation du moût. Celui-ci reste plus ou moins sucré, suivant que l’agent qui intervient pour limiter l’évolution opère plus ou moins tôt. Ensuite, à un vin préparé selon les règles ordinaires, on ajoute le moût ainsi traité; la liqueur obtenue diffère des vins véritables en ce qu’elle renferme de plus qu’eux, outre une bonne dose de sucre, tout le supplément d’alcool qui a servi de réactif.

Quant aux détails de manipulation, ils variaient et varient encore à l’infini ; nous ne saurions expliquer tout au long les traitemens que les vins et les moûts subissent encore en Sicile et en Espagne, ni exposer rationnellement les méthodes suivies jadis à Cette et à