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nous examinons. Ce n’est qu’au bout d’un certain délai, après l’établissement complet de l’équilibre interne, que l’excès d’alcool devient parfaitement innocent. Toutefois, si cette objection est exacte à la rigueur, elle est trop absolue ; en effet, les bouilleurs de cru n’ont pas d’intérêt à forcer outre mesure le titre en alcool, et leurs opérations ont simplement pour but d’assurer la conservation de certains liquides destinés au transport et dont la plupart ne se consomment qu’au bout d’un certain délai pendant lequel s’atténuent les inconvéniens propres au vinage. Quant aux vins de liqueur dits secs, ils sont « travaillés » dans une mesure beaucoup plus large; mais, exclus de la consommation quotidienne, absorbés à doses habituellement modérées, conservés parfois durant des années entières, de pareils produits sont innocens bien que factices, pourvu qu’ils aient été corsés avec de la bonne eau-de-vie.

Au point de vue de l’hygiène, il est préférable que l’alcool destiné à fortifier le vin, au lieu d’être introduit directement, soit ajouté à la vendange sous forme de sucre. Le sucre fermente et donne de l’eau-de-vie, qui se réunit, au fur et à mesure de sa production, avec l’alcool de raisins, et, comme celui-ci, s’incorpore à l’état naissant avec les autres élémens du vin. On réalise de cette manière une boisson assez salubre. En France, ce procédé a été prôné par Chaptal, pour améliorer les petits vins du Bas-Languedoc; le docteur Gall le préconisa en Allemagne, lorsqu’il enseigna aux vignerons des bords du Rhin l’art de tirer parti des raisins verts ou insuffisamment mûrs. Il existe une différence entre la « chaptalisation » et la « gallisation » (ces deux barbarismes ont été consacrés par l’usage) : la première des deux méthodes se réduit à sucrer le moût ; la seconde consiste à l’arroser d’eau sucrée. Le vin obtenu suivant les recommandations de Gall est forcément alcoolique; mais à cause de l’introduction de l’eau et vu la médiocre qualité des raisins traités, il manque d’extrait, de tannin, de bouquet, et la couleur laisse à désirer. Le Bourguignon Petiot a conseillé un autre mode d’opération : soit avant, soit après la fermentation, il sépare le jus du marc et fait cuver à part ce marc avec de l’eau sucrée. De cette façon, les raisins fournissent successivement deux produits : les vins de première cuvée ou les véritables vins ; les vins de seconde cuvée obtenu par « petiotage » (encore un néologisme), et les profits d’un vigneron s’accroissent d’autant.

Il ne faut pas oublier que les vins de seconde cuvée, très salubres, recommandables sous tous les rapports et susceptibles de rendre de vrais services, ne peuvent, dans aucun cas, être vendus sous le nom de « vins naturels, » mais seulement sous la dénomination