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féminine avait préparé dans le plus grand mystère trois toilettes neuves, pour les trois jours de la fête, et les impatientes n’attendaient pas que les ténèbres fussent dissipées pour se parer. À quatre heures du matin, elles étaient sous les armes. La plante de leurs pieds et la paume de leurs mains, fraîchement teintes avec le henné, brillaient d’une belle couleur orangée. Toute leur personne était parfumée à donner des vertiges. « Une Occidentale, dit la princesse Salmé, aurait autant de peine à croire ce qui se consomme de parfumerie dans l’espace de ces trois jours, qu’une Orientale ce qui se boit de bière à Berlin pendant les fêtes de la Pentecôte. » Sarari et kibibi sortaient dans les corridors et couraient les unes chez les autres jouir de la surprise, de l’admiration et de la rage des amies et des rivales. On se représente les regards qu’elles échangeaient en s’apercevant. Il n’était pas sept heures que le palais tout entier « ressemblait à une salle de bal » gigantesque, où la foule pressée circule avec peine.

Sejjid-Saïd allait faire ses dévotions à la mosquée. Il offrait au retour sa main à baiser et se dirigeait vers les chambres du trésor, suivi de sa fille favorite, la belle Chole, et du géant Djohar, chef des eunuques. Chole, surnommée l’Étoile du matin, était la merveille de Zanzibar, la perle des palais impériaux, la prunelle des yeux paternels. Sa beauté était parfaite, sa grâce d’une déesse, son humeur douce et enjouée. Le sultan l’idolâtrait et lui confiait, par un privilège unique, la clé du trésor. Une si haute faveur, des charmes si éclatans, ne pouvaient rester impunis ; l’innocente Chole était en butte à des inimitiés féroces. Une imprudence de son père combla la mesure. Sejjid-Saïd voulut lui témoigner sa tendresse d’un façon éclatante et lui fit don d’un diadème de diamans. Après sa mort, Chole périt empoisonnée.

Ils entraient tous trois, suivis par des regards envieux. Le monarque vénérable, dans sa mansuétude, avait pris la peine de demander aux sarari et aux princesses ce que chacune d’elles désirait. Chole, incapable de rancune, aidait sa mémoire, et Djohar inscrivait les noms sur les objets. Assurément un musulman surpasse autant un chrétien en patience qu’en gravité et en discrétion. Les esclaves chargés de porter les présens les rapportaient souvent, accompagnés d’audacieuses paroles de refus. Sejjid-Saïd reprenait ses étrennes et les changeait : « Et voici, on obtenait presque toujours ce qu’on réclamait. » Le sultan avait pourtant ce jour-là bien autre chose en tête que ses harems. Il donnait aussi des étrennes aux mâles de sa famille ; « à tous les grands chefs asiatiques et africains qui se trouvaient à Zanzibar ; à tous les fonctionnaires de l’état ; à tous les soldats et leurs officiers ; à tous les