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la parole de Dieu et ses saints commandemens, et de perdre moins de temps à subtiliser sur la force et la matière. » Pour sa part, elle n’a jamais été plus trompée, plus exploitée, plus en proie aux fourbes et aux charlatans, que depuis qu’elle a fait des études et qu’elle est une personne « éclairée, » vivant dans une société « éclairée. » C’était l’âge d’or à Zanzibar; c’est l’âge de fer à Berlin. « gens heureux de mon pays! s’écrie-t-elle, vous ne vous doutez pas de tout ce qui est lié à la sainte civilisation! » Il fait beau, vraiment, nous entendre parler sur un ton de pitié des barbares et des sauvages. Nous sommes par trop outrecuidans d’aller « éclairer de force » des gens qui nous valent bien et qui nous méprisent de tout leur cœur.

Un musulman ne peut point ne pas nous mépriser. L’idéal qui lui a été proposé par sa religion était peu élevé, et il l’a atteint facilement. Il ne mesure pas la hauteur du nôtre, puisqu’il est incapable de sortir de ses propres idées, et il voit nos vains efforts pour l’atteindre, nos chutes répétées et honteuses. Il est forcé de nous condamner. C’est l’histoire de la fille de Sejjid-Saïd. Dans son apprentissage de civilisée, elle n’a remarqué que les pierres et les boues da chemin, jamais le but où il tendait. Elle ne nous tient pas compte de ce que nos défaites sont les accidens d’une lutte ennoblissante pour monter plus haut, de ce que le cri de ralliement de nos foules souffrantes, et souvent coupables, demeure malgré tout, à travers leurs plaintes et leurs fautes : Sursum corda ! Elle sait seulement que nous faisons le mal que nous ne voudrions pas, que nous ne faisons pas le bien que nous voudrions, et elle constate, cette fois sans les réticences des pages sur le mariage, la banqueroute morale de la civilisation chrétienne. Un reste de prudence l’empêchant d’en rendre notre religion responsable, elle s’en prend à l’instruction, ce qui revient au même dans sa pensée, puisque c’est accuser nos églises de ne pas avoir su garder, comme la sienne, la direction des esprits et le gouvernement des âmes. Elle accuse notre vaine science d’être la mère de la plupart des maux dans notre société aigrie et corrompue, et elle oppose à nos misères et à nos discordes le riant tableau de la vie d’une femme arabe à Zanzibar, de cet être qui passe chez nous pour l’un des plus dégradés et des plus maltraités de la création.


III.

On connaît déjà le cadre de ce grand bonheur. Il est brillant et gai, un peu criard. Les hautes pièces de Bet-il-Mtoni et de Bet-il-Sahel