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et qu’elle a connu. L’Arabe de Zanzibar estime que c’est blasphémer son Dieu que de supposer des règles et des forces à côté de sa volonté, même émanant d’elle et lui étant assujetties. Il n’a pas été gâté, comme le Turc, par notre contact (vous voyez, ajoute la princesse Salmé, si le Turc s’en trouve bien), et il repousse avec horreur la seule pensée de lois de la nature : « On ébranlerait tout son être en lui en parlant, on causerait au dedans de lui un affreux déchirement. » Les classes modèles de Bet-il-Mtoni et de Bet-il-Sahel, suivies du dehors par les enfans du sang royal, faisaient de parfaits musulmans, ainsi entendus. L’enseignement qu’on y recevait bouchait une à une les issues par lesquelles l’esprit aurait pu s’échapper à la conquête du doute, ce grand titre de noblesse de l’humanité. L’enfant sortait de l’école la tête farcie de préceptes dont l’examen lui était interdit comme irréligieux, en dehors desquels il eût été abominable de chercher une explication du monde et de la vie, et que son devoir était d’appliquer, sans plus raisonner que lorsqu’il les psalmodiait en fausset avec ses camarades. Quant à suspecter leur origine divine, il aurait plutôt nié la lumière du soleil. Depuis qu’il existait, il entendait dire à son père, à sa mère, à ses maîtres, à ses esclaves, qu’il n’y a d’autre Dieu qu’Allah, et que Mahomet est son prophète. Ces deux idées étaient devenues, si l’on me passe l’expression, partie de sa chair. Il ne songeait pas plus à les mettre en question qu’à se dépouiller de son corps. Des pratiques minutieuses achevaient l’œuvre de routine; dans les palais de Sejjid-Saïd, les cinq prières quotidiennes prenaient plus de trois heures aux fidèles scrupuleux qui accomplissaient avec soin les rites musulmans.

Rien n’égale l’étroitesse du système, si ce n’est sa puissance. Il façonne depuis plus de dix siècles des cerveaux qui sont comme des forteresses imprenables, des peuples qu’on anéantirait plutôt que d’en obtenir l’abandon d’une parcelle d’eux-mêmes. Il réussit à enfermer la pensée humaine dans des limites précises et sacrées, au-delà desquelles la princesse Salmé a constaté chez nous qu’il n’y a qu’impiété, mauvaise foi, mécontentement de tout ce qui existe. Elle a reconnu que l’abus de l’instruction est le grand malheur des civilisés, plus que l’âpre climat, plus que l’accablant labeur des pays du Nord, plus que la sécheresse désolante des cœurs européens. Comment se peut-il que nous ne nous en apercevions pas ? « On prise par-dessus tout l’instruction et la science. Et puis l’on s’étonne de voir disparaître la piété, le sentiment de la vénération, la droiture, le contentement, pour faire place à des luttes sans merci, à un athéisme effrayant, au mépris de toutes les institutions divines et humaines!.. On ferait mieux d’enseigner davantage