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était semblable à celle de la veille, et il n’y avait point de différence d’une année à l’autre, ni dans le programme des divertissemens, ni dans l’étiquette inflexible qui décidait des admissions.

Ainsi tout contribuait à enfoncer dans l’esprit des enfans des sarari que leurs mères étaient des êtres inférieurs, qui leur devaient un semblant d’existence et le perdraient en les perdant. Ils savaient que la surie dont l’enfant était mort pouvait être revendue, et que les maris arabes « de cœur étroit » usaient de leur droit, lorsqu’ils étaient las d’une de ces malheureuses. Ils savaient aussi qu’après leur veuvage, elles dépendraient entièrement d’eux, l’usage n’étant point d’assurer leur sort, au moins à Zanzibar. Celle que son fils ou sa fille rejetait n’avait plus qu’à tendre la main, si quelque âme charitable ne la recueillait. Une nièce de la princesse Salmé, appelée Farschu, avait pour mère une Abyssine sauvage et emportée. Farschu perdit son père, dont elle hérita, se querella avec sa mère et l’abandonna. La vieille surie essaya en vain de gagner son pain en travaillant et serait morte de faim, si l’une de ses anciennes belles-sœurs, émue de compassion, ne l’avait prise chez elle.

Ces cas d’ingratitude filiale étaient extrêmement rares, et cela est assurément à la louange des Arabes. Ils voyaient infliger des traitemens humilians à leurs mères, sans que leur respect en fût altéré. Ils assistaient à leur vie sensuelle et oisive, à leurs méchantes intrigues, sans que leur tendresse en fût effleurée. Les princes du sang de la famille de Sejjid-Saïd emmenaient presque tous leur mère lorsqu’eux-mêmes, à leur majorité, quittaient le palais paternel pour fonder un foyer. Ils la gardaient jusqu’à sa mort et donnaient à sa vieillesse, par leurs soins, la dignité qui avait manqué si cruellement à sa jeunesse. La maternité est la revanche du mariage pour la surie. — « Ses rapports avec ses enfans, dit la princesse Salmé, la dédommagent amplement des désavantages qui résultent pour elle de la polygamie et lui créent, à elle aussi, une vie de famille heureuse et satisfaite. » Ce sont là des paroles bien honorables pour le peuple qui les a méritées. Elles prouvent chez lui une âme noble. Toutefois, un Occidental a de la peine à concevoir que les sentimens de respect et d’amour inspirés par la mère ne rejaillissent pas, dans une mesure quelconque, sur le sexe tout entier. Il est embarrassé et froissé par l’illogisme qui enferme les sarari de ces fils modèles dans leur rôle séculaire de femelles.

Sejjid-Saïd s’occupait des siens autant qu’on peut raisonnablement l’exiger d’un pater familias de pareille envergure. J’ai recherché avec curiosité les passages des Mémoires de nature à