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faut séparer de tous les autres. Wordsworth jeune, et encore sans aucune célébrité, se promenant en bateau sur la Tamise, près de Richmond, se rappela l’élégie que Collins avait écrite sur la mort de Thomson, et, préludant à ce système de registre poétique de ses impressions qu’il a poursuivi toute sa vie, il composa une courte poésie pour consacrer la minute de ce souvenir. La pièce n’est pas du très bon Wordsworth, mais elle est écrite dans le vrai sentiment de Collins et imite avec finesse quelques-uns des mouvemens de ses poésies. En voici la dernière strophe, où l’Ode au soir est discrètement rappelée :


Maintenant, pendant que nous voguons, suspendons en son honneur la rame retentissante, et prions pour que jamais plus enfant du chant ne connaisse les chagrins de ce poète. Quel calme! quelle tranquillité! le seul bruit qu’on entende est celui de la rame suspendue qui s’égoutte ! Les ténèbres du soir s’amassent autour de nous, accompagnées par les plus saintes puissances de la vertu.


Plus précieux encore est le second témoignage, parce qu’il émane d’un génie plus simple, plus large et que le système n’égara jamais. Walter Scott avait pour Collins une tendresse toute particulière. Il l’a cité fréquemment, toujours avec un même sentiment de charité mélancolique, mais jamais mieux peut-être que dans quelques vers de sa Fiancée de Triermain, vers qui sont simplement la traduction des quelques charmantes lignes de Johnson que nous avons citées plus haut, mais où l’on remarquera qu’il a tourné adroitement en éloge ce qui, chez Johnson, était une sorte de souriant reproche :


Car Lucie aime, — comme Collins, nom à la mauvaise étoile, dont les chants n’eurent d’autre récompense qu’une tardive renommée, qui, après avoir refusé de ceindre sa tête vivante du laurier, est venu le déposer sur son monument funèbre après sa mort, — car Lucie aime à fouler comme lui des plages enchantées, à errer comme lui à travers le labyrinthe du pays de féerie, à contempler l’éclat des créneaux d’or, et à sommeiller doucement auprès de quelque courant élyséen.


Arrêtons-nous sur ces citations, qui nous montrent la poésie pressentie par Collins arrivée enfin à la vie et récompensant sa prescience par la renommée qu’il n’avait pu encore obtenir, et plaçons sous l’autorité de ces deux derniers illustres noms nos propres sentimens d’admiration pour ce petit, mais vrai poète.


EMILE MONTEGUT.