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importance littéraire de Collins, c’est l’intervalle considérable qui le sépare du mouvement poétique moderne. Le romantisme du premier tiers de notre siècle, c’est le vrai génie anglais reprenant possession de lui-même après la longue servitude que lui avait glorieusement imposée l’esprit classique ; mais si vigoureuse avait été l’empreinte que ce génie en avait reçue qu’il mit à l’effacer presque autant de temps qu’il l’avait gardée. En acceptant Collins comme point de départ, il s’écoulera encore cinquante ans avant qu’apparaisse la poésie que son œuvre fait pressentir. Il est vraiment curieux de constater avec quelle lenteur marche vers son éclosion cette poésie latente, et combien la gestation en est obscure et pénible. Le miracle de Minerve sortant tout armée du cerveau de Jupiter, ou de Bacchus enfermé dans la cuisse du même générateur divin, ne s’est pas renouvelé pour son enfantement. Ici nul grand génie poétique jouant le rôle d’initiateur et de révélateur ; si par hasard Collins vous semble petit, songez que ses successeurs (Chatterton excepté et Cowper étant écarté comme n’appartenant pas au courant poétique dont nous parlons) sont encore moins grands. Lentement, sourdement, souvent presque accidentellement, on voit cette poésie conquérir ses organes l’un après l’autre avec Warton, Gray, l’évêque Percy et ses Reliques de la vieille poésie anglaise, Chatterton, Lisle Bowles, et lorsque enfin l’enfant vient au monde, il a mis si longtemps à se faire qu’on a oublié s’il a eu des progéniteurs et qu’on n’a même aucune envie de le savoir.

Les circonstances dans lesquelles s’opéra ce renouvellement poétique suffiraient à elles seules à expliquer l’ingrate destinée littéraire de Collins et sa tardive renommée après sa mort. Lorsque le poète produisit ses chants, le public anglais n’avait pas encore d’oreilles pour les nouveautés, surtout lorsqu’elles étaient de si délicate nature, et lorsqu’il en eut enfin, ces oreilles ressentirent trop puissamment le charme de la poésie victorieuse pour se soucier beaucoup de concerts vieux de cinquante ans. Il est d’ailleurs remarquable que cette indifférence du public dont Collins eut à souffrir fut le partage de tous ses successeurs ayant quelque nouveauté. Ce fut en particulier le cas pour Thomas Gray, dont les odes, inspirées par la vieille poésie galloise et la Voluspa scandinave, ne réussirent pas mieux que les églogues et les odes de Collins, et qui, sauf l’admiration de quelques fidèles, ne conquit jamais d’autre récompense que celle d’une estime quelque peu glaciale. Gray était vraiment un second Collins pour la rareté et l’intermittence de l’inspiration ; heureusement il fut plus avisé et sut assez habilement organiser sa vie pour que l’insuccès ne pût nuire à ses goûts studieux. Chatterton fut encore moins compris, si c’est possible,