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donnée de son génie le classique Johnson, peu enthousiaste de cette nature de talent : « Il avait appliqué son esprit principalement aux œuvres de fiction et aux sujets de fantaisie, et, se complaisant dans certaines habitudes particulières de pensée, il éprouvait un plaisir infini à ces envolées d’imagination qui passent les bornes de la nature et que l’intelligence ne peut accepter que par une adhésion passive aux traditions populaires. Il aimait les fées, les génies, les géans et les monstres ; il se délectait à errer à travers les méandres de l’enchantement, à contempler la magnificence des palais d’or, à reposer auprès des cascades de jardins élyséens. L’idée qu’il s’était formée de l’excellence le conduisit à des fictions orientales et à une imagerie allégorique... » Qu’est-ce à dire, sinon que Collins eut le goût, l’inclination, le sentiment et la prescience d’une poésie qui relèverait directement et principalement de l’imagination, et à laquelle la raison ne collaborerait que secondairement, par opposition à la poésie classique, où le premier rôle était attribué à la raison, et qui n’acceptait que secondairement, et encore avec méfiance, le secours de l’imagination. Nous avons dit comment il ne put mettre à exécution aucun de ses projets ; ses œuvres ne doivent donc être prises que comme indications, notations et fragmens de tout ce qu’il avait rêvé, et cependant il y a mieux que cela chez lui, car il s’y trouve l’esquisse très nette d’un certain programme poétique, et ce programme n’est pas autre que celui que l’école romantique anglaise mit cinquante ans plus tard à exécution. Que dit l’épître à Hanmer, où il félicite le critique d’avoir rendu plus facile une alliance étroite et éternelle entre le génie anglais et Shakspeare, sinon que la véritable inspiration nationale doit être cherchée à l’époque du grand poète, et que c’est la source à laquelle il faut toujours revenir? Ce retour à l’Elizabethan era n’a-t-il pas été le premier article du programme romantique anglais, le plus universellement accepté par toutes les générations de poètes qui se sont succédé, et le plus pleinement et constamment exécuté? Et que dit-il dans son épître à Home, sinon ce que dira Walter Scott lui-même un nombre de fois infini, non-seulement par ses œuvres, mais par les remarquables préfaces dont il les accompagne, c’est qu’il faut prendre les superstitions populaires comme source d’une nouvelle poésie, d’abord parce qu’elles sont poétiques dans leurs formes et par leurs objets, ensuite parce qu’étant naïves et filles de la crédulité, elles permettent à l’imagination un certain degré de foi sans lequel il n’est pas de véritable inspiration, et puis parce qu’elles fournissent des cadres infiniment variés où les inventions les plus hardies peuvent trouver place ; il aurait pu ajouter enfin, parce qu’elles présentent en abondance des états d’âme exceptionnels qui permettent au poète de plonger dans