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je crois, le seul poète qui ait chanté l’héroïsme et la vertu militaire sur le chalumeau, la tenuis avena de Tityre. Le choix de cet instrument, il l’a fait non par inadvertance ou maladresse, mais librement, et il en a tiré un chant sans bizarrerie ni dissonance, plein d’élévation mélancolique et presque de grandeur. Voyez plutôt l’ode à une dame sur la mort du colonel Ross, tué à Fontenoy ; voyez surtout la petite ode écrite peu après cette première sur ce même événement de Fontenoy. Elle se compose de deux courtes strophes, mais ces deux strophes sont restées célèbres dans la poésie anglaise. Les voici : rien ne peut mieux faire comprendre cet instinct inéluctable qui pousse Collins à associer à toute chose des images champêtres :


Comme ils sommeillent bien les braves qui se sont enfoncés dans leur repos, bénis par tous les vœux de leur patrie 1 Lorsque le Printemps, avec ses doigts froids de rosée, reviendra parer leur tertre consacré, il le revêtira d’un plus doux gazon que n’en foula jamais le pied de l’imagination.

Par des mains de fées leur glas est sonné ; par des formes invisibles leur chant funèbre est chanté; là vient l’Honneur, gris pèlerin, bénir la terre qui enveloppe leur dépouille; et là aussi viendra pour un temps faire séjour la Liberté, ermite en pleurs !


Comme je sens trop tout ce que la traduction enlève à ces strophes d’aérien et de féerique, je veux au moins mettre le texte de la dernière sous les yeux de ceux de nos lecteurs qui connaissent la langue anglaise, afin qu’ils puissent juger par eux-mêmes du charme de cette poésie :


By fairy hands their knell is rung;
By forms unseen their dirge is sung
There honour comes, a pilgrim grey,
To bless the turf that wraps their clay;
And freedom shall awhile repair
To dwell, a weeping herniit, there!


J’ai dit que Collins s’était parfois inspiré de Shakspeare ; eh bien! savez-vous que dans cette petite pièce il a été vraiment son rival ? Depuis le dirge délicieux, dont Ariel, dans la Tempête, abuse les oreilles de Ferdinand pour lui faire croire à la mort de son père :


Full fathom five thy father lies
Of his bones are corals made...


il n’y a rien eu de comparable dans la poésie anglaise à ce petit chant si bizarrement héroïque, rien qui soit venu plus directement