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plutôt, comme on disait alors, patriote, pour mieux identifier le parti dominant et triomphant avec la nation même, mieux marquer le contraste avec le parti tory, et faire de ce dernier nom le synonyme de tyrannie à l’intérieur et d’obéissance à l’étranger au dehors. Nous sommes au lendemain de Culloden, au lendemain de Fontenoy aussi, et les vers de Collins conservent, avec une douceur et une suavité mélancolique adorables, le souvenir de cette triste victoire et de cette noble défaite. Douceur ! suavité ! voilà des termes bien singuliers, et en apparence bien impropres, quand on songe aux événemens qu’il s’agissait de célébrer; cependant ils ne sont que justes. L’ode à une dame sur la mort du colonel Ross, tué à Fontenoy, n’est qu’une exquise élégie héroïque ; et, quant à la seconde petite ode sur la même bataille, c’est la plus délicieuse épitaphe qu’on puisse rêver pour un monument funèbre en l’honneur de la masse anonyme des morts de cette journée mémorable. Et Culloden, dont le nom, par une discrétion délicate, n’est pas même prononcé et qu’il faut deviner, comment le célèbre-t-il? Par une ode à la clémence, une ode à la liberté, et une ode aussi à la paix, où ce souvenir récent de guerre civile se partage avec la pensée de la guerre extérieure, toujours grondante, la préoccupation du poète. C’est qu’il a beau être whig et patriote, il n’y a chez Collins aucune des malfaisantes ardeurs du partisan ; quand il pense à la guerre civile, ce n’est pas pour triompher sur les cadavres de ses compatriotes, mais pour appeler la clémence à descendre sur cette terre où s’est brisée la rébellion ; quand il pense à la guerre extérieure, ce n’est pas pour enflammer les ardeurs belliqueuses, c’est pour inviter la paix à revenir élire domicile dans cette île d’où le tintamarre des armes et les vautours du carnage l’ont fait fuir sur son char attelé de colombes.

Collins avait publié son petit volume d’Odes en même temps que son camarade Joseph Warton publiait de son côté un volume de poèmes. Un instant même, ils avaient caressé le projet de se présenter au public fraternellement sous la même couverture ; il fut heureux pour Warton que ce projet n’eut pas de suites, car son volume s’enleva fort bien, tandis que celui du pauvre Collins, qui eut grand’peine à trouver un éditeur (le célèbre Dodsley ayant déclaré que ses odes n’étaient pas dans le goût du jour), restait en magasin. Le dépit que le poète ressentit de cet insuccès fut si vif qu’il jeta, dit-on, au feu les exemplaires qu’il avait de son œuvre, et qu’il songea à rembourser le libraire de la maigre somme qu’il en avait reçue. C’est probablement à ce dépit qu’il faut attribuer le silence qu’il garda jusqu’à sa mort, à une ou deux exceptions près, que nous signalerons tout à l’heure. Ce petit volume invendu reste en effet son œuvre capitale; à partir de ce moment,