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aussi, lui avait créés. Le fait a été expliqué d’une manière plus naturelle par la mort de sa mère, qui arriva à cette époque ; quoi qu’il en soit, Collins se trouva, par ce départ inopiné, privé du bénéfice de ses études universitaires. Encore une fois, vous le voyez, l’enfant ne vivra pas.

Collins avait été élevé en vue du ministère religieux, mais le premier résultat de cet avortement universitaire fut de rendre plus difficile la réalisation de ce plan de famille. Il ne se sentait d’ailleurs aucune vocation sérieuse pour une profession qui exige moins de dilettantisme que de dévoûment et plus de prudence que de rêverie. Pour la même raison, il était impropre à la carrière militaire, à laquelle il songea un instant, et dont son oncle Martyn, qu’il alla, paraît-il, visiter alors dans sa garnison de Flandre, le détourna lui-même. Alors il se résolut à courir les hasards de la vie littéraire, sans s’être interrogé d’avance sur la direction qu’il devrait donner à ses talens très réels, et s’être créé des moyens d’attendre qu’il pût les mettre en lumière. « Il était toujours à élaborer des plans de vastes publications, qui n’allaient jamais plus loin que les prospectus pour souscriptions, » dit, dans une lettre publiée en 1781, son ancien camarade d’université, l’aimable curé de Selborne, Gilbert White, qui l’a jugé sévèrement, avec un mélange de compassion et de mépris dont quelques-uns des admirateurs du poète ont été indignés[1]. Parmi ces projets, Gilbert White, dont la mémoire est ici probablement infidèle, nomme une histoire du moyen âge; Samuel Johnson, mieux informé, par le d’une histoire de la renaissance des lettres. De vastes sujets véritablement, de longue, de difficile exécution, et de médiocre ressource, on en conviendra, pour assurer le pain de chaque jour. Il va sans dire que jamais une ligne ne fut écrite de ce livre projeté, bien que Collins en ait caressé la pensée toute sa vie. Est-ce à dire pour cela que ces beaux plans restèrent absolument stériles? Rien n’est stérile en ce monde, pas même les chimères, car souvent ce qui est pour nous pur château en Espagne peut aisément devenir un substantiel et fructueux

  1. Particulièrement, sir Egerton Brydges, critique qui fut célèbre pendant la première partie du présent siècle et qui était dans tout le feu de l’enthousiasme juvénile à l’époque où la lettre de White fut publiée. M. Willmott s’est fait l’écho de cette indignation, et il y a même ajouté, car il ne nomme pas l’auteur, pourtant suffisamment célèbre et populaire de cette lettre. Un étranger est généralement mal venu à se prononcer sur des querelles de si délicate nature; cependant, cette précaution prise, nous nous permettrons de dire que les sentimens exprimés par Gilbert White peuvent s’expliquer et se justifier aisément. Collins, avec ses espérances chimériques, ses projets ambitieux, si disproportionnés aux moyens dont il disposait pour les réaliser, pouvait difficilement être apprécié et compris par ce modeste camarade qui ne voulut jamais sortir de sa paroisse de Selborne, et trouva qu’en décrire la faune et la flore était une occupation suffisante pour ses judicieux talens.