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du texte du grand poète. À cette occasion, Collins adressa à l’éditeur, qui vivait dans son voisinage, à Oxford même, une épître qui est un des meilleurs morceaux de poésie critique qu’il y ait dans la langue anglaise. C’est, dis-je, une preuve de génie autrement frappante que les Eglogues. Pour produire les Eglogues, il suffisait, à tout prendre, de la fraîcheur d’imagination de la première jeunesse ; mais ici il fallait quelque chose de plus, du sérieux d’esprit et des facultés habituées déjà à la discipline de la réflexion. C’est la première fois, peut-être, qu’on ait parlé de Shakspeare d’une manière tout à fait moderne, comme nous en parlons nous-même, et cela tout en tenant compte, dans une mesure très judicieuse, de l’admiration de l’école classique pour les modèles français. Qui le croirait ? Collins, dans cette épître à Hanmer, parle de la poésie française, de l’art dramatique français et de ses deux illustres représentans avec infiniment plus de mesure que Dryden, plus de sympathie sincère qu’Addison et plus de justesse que Pope. Le passage vaut vraiment d’être cité : « Par des pas graduels et lents, la France, plus exacte, vit le bel empire de l’art s’établir sur ses rivages. Correctement hardie, et juste dans tout ce qu’elle peignit, elle arriva par longueur de travail à une perfection brillante, jusqu’à ce qu’enfin Corneille, enflammé par l’esprit de Lucain, exhala le libre accent que Rome et son poète lui avaient insufflé, et que le jugement classique conquit au doux Racine la force tempérée du vers plus chaste de Virgile. » Quiconque comparera ce passage de l’épître de Collins au passage de l’épître à George II, où Pope a parlé de la littérature dramatique française, ne pourra manquer d’être frappé en même temps et de la supériorité de Pope comme versificateur et de l’infériorité de son jugement sur celui de Collins. Shakspeare, et ses plus illustres contemporains, Ben Jonson, John Fletcher, ne sont pas caractérisés avec moins de bonheur et de vrai sentiment. « Le rôle qui appartient à la critique, Ben Jonson le connut avec trop de scrupules ; chez lui, la nature fut presque perdue dans l’art. D’une trempe plus souple, le noble Fletcher vient après lui le premier par l’ordre du temps, comme le premier par le nom. Dans ces scènes où son génie nous tient délicieusement attentifs, nous trouvons toute pensée enflammée qui échauffe l’âme féminine, tout soupir touchant, toute tendre larme, les vœux de l’amant et les terreurs de la vierge : grâces et sourires réclament son inspiration. » Eh bien ! au moment même où il produisait cette œuvre presque magistrale, Collins quittait brusquement l’université d’Oxford sans prendre ses derniers grades. Nulle bonne raison n’a été donnée de cette résolution subite qui ressemble à une incartade d’enfant trop fantasque. C’était, a-t-on dit, pour se dérober aux précoces créanciers que son imprévoyance, trop précoce