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s’échappe du monastère ; pour ses beaux yeux, cet écervelé de Guise délaisse l’archevêché de Reims, puis la délaisse elle-même après un simulacre de mariage. Errante, sans argent, sans asile, elle rencontre un prince dépossédé, l’épouse contre le gré de la Régente, de tous les siens ; elle le fait catholique pour rentrer en grâce ; c’est en vain : Marie reste sourde à ses humbles prières, la laisse « sans pain[1]. » La cadette finira par sortir victorieuse de la lutte et se vengera en sauvant son aînée[2]. Ici les traits peuvent faire illusion ; leur délicatesse est exquise ; n’était le feu du regard, on ne soupçonnerait pas la portée de cette intelligence et la vigueur de ce caractère. Admirablement douée, elle exercera sur les hommes une irrésistible influence, saura manier tous les ressorts de la politique ; on l’appellera la Palatine. Amie de Condé et de Mazarin, elle les servira tous deux sans les trahir, méritera l’estime de Louis XIV en conservant la confiance de Philippe d’Orléans. Si sa conduite est toujours habile et tempérée, ses opinions sont extrêmes ; elle pousse aux dernières limites ce que Bossuet appelait « l’intempérance de l’esprit ; » puis elle surprend le monde par l’austérité de sa pénitence, après l’avoir étonné par la hardiesse publique de ses idées.

Au commencement de 1645, alors que Mlle de Rethelois venait de conclure ce deuxième mariage qui ne semblait être qu’une étape dans sa vie d’expédiens, l’aînée, Louise-Marie, qui, elle aussi, à travers les épreuves d’une jeunesse agitée, avait ému bien des cœurs, depuis Gaston de France jusqu’au marquis de Gesvres[3], entrait dans la maturité avec une attitude hautaine et

  1. Sic, dans une des nombreuses pétitions adressées par la princesse Anne à sa sœur Marie (mai 1645 ; A. C).
  2. Lors des embarras de cette dernière en Pologne. (Voir l’Oraison funèbre de la Palatine, par Bossuet.) — Anne de Gonzague, Mlle de Rethelois, avait environ dix ans, lorsqu’en 1625 on la mit à Faremoutiers, où elle ne se plut guère ; mais son père et sa tante la destinaient à prendre l’habit. Elle ne tarda pas à devenir belle et sa résistance augmenta. Le séjour d’Avenay, où on la plaça auprès de sa jeune sœur Bénédicte, ne réussit pas davantage ; Henri, duc de Guise, titulaire de l’archevêché de Reims, y fir sa connaissance et l’enleva. (Voir t. III. p. 443-445.) Abandonnée par ce soi-disant mari, elle épousa (mai 1645) le prince palatin Édouard, malgré la résistance de la Régente, qui trouvait qu’il y avait en France assez de princes dépossédés. Ce mari définitif était le petit-fils du roi Jacques d’Angleterre et le quatrième fils de l’électeur palatin, Frédéric V, qui fut élu roi de Bohême, dépouillé de l’électorat, et mourut réfugié en Hollande. — Le frère aîné, Charles-Louis, rétabli dans ses états et titre par le traité de Westphalie, est le père de Madame, seconde femme de Monsieur, duc d’Orléans, ma très loyale, très laide et très spirituelle aïeule. — Édouard mourut catholique à Paris en 1663 ; il venait de marier sa fille aînée au duc d’Anguien, Henri-Jules, fils du Grand Condé. — La Palatine, Anne de Gonzague, mourut en 1684.
  3. Elle n’avait pas dix-huit ans que Richelieu la « logea au Bois de Vincennes » (1629) pour la soustraire aux poursuites de Gaston, qui voulait l’enlever sans grande résistance de sa part. Ce mariage revint sur le tapis ; il fallut plusieurs fois fuir et se cacher. — Cinq-Mars était fou d’elle ; c’est pour l’épouser qu’il conspirait. Les mépris de la princesse Marie avaient réduit le marquis de Gesvres au désespoir, lorsqu’il se fit tuer devant Thionville. — En somme elle était plus aventureuse, surtout plus ambitieuse que romanesque ; Alfred de Vigny dit le contraire ; mais on n’est pas obligé de chercher la vérité historique dans les œuvres d’imagination.