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substance. M. Renan, qui ne se les serait pas autrefois permises, les concède au goût du jour, et s’en sert comme d’un moyen d’intéresser à l’histoire d’Israël ce qu’il y a, ce qu’il croit qu’il y a, parmi ses lecteurs, de plus « moderne » et de plus « parisien. » Je trouve le moyen fâcheux ; et, quant au genre de succès qu’il lui vaut, je crains bien que M. Renan ne se méprenne, et que ce ne soit pas toujours aux dépens de Iahvé qu’il nous fasse rire. Mais, après cela, quand on en a pris une fois son parti, c’est vraiment en présence d’une grande œuvre que l’on se trouve, et dès aujourd’hui, quoique l’ouvrage ne soit pas encore terminé, c’est en présence de l’une des plus belles généralisations historiques dont notre temps se puisse honorer. Le mérite même de l’actualité ne manque pas à l’Histoire du peuple d’Israël, et, comme on va le voir, elle nous apporte la réponse de la science ou de l’érudition à quelques-unes des questions qui agitent non-seulement la France, — qu’elles agitent peu, — mais l’Europe contemporaine.


II.

Quelle est la part d’Israël dans l’œuvre de la civilisation? Telle est en effet la question, tel est le point de vue, pour mieux dire, où s’est placé M. Renan ; et voici textuellement sa réponse : « Pour un esprit philosophique, c’est-à-dire pour un esprit préoccupé des origines, il n’y a vraiment dans le passé de l’humanité que trois histoires de premier intérêt : l’histoire grecque, l’histoire d’Israël, l’histoire romaine. Ces trois histoires réunies constituent ce qu’on peut appeler l’histoire de la civilisation, la civilisation étant le résultat de la collaboration alternative de la Grèce, de la Judée et de Rome. » Il ajoute encore plus loin : « Ce que la Grèce, en effet, a été pour la culture intellectuelle, ce que Rome a été pour la politique, les Sémites nomades l’ont été pour la religion... Les promesses faites à Abraham ne sont mythiques que dans la forme. Abraham, l’ancêtre fictif de ces peuples, a été réellement le père religieux de tous les peuples. » Les deux volumes parus de l’Histoire du peuple d’Israël ne sont que le développement et la démonstration de cette idée.

N’est-il pas curieux, là-dessus, qu’ayant, depuis tantôt cent cinquante ans, si souvent et si injustement reproché à l’auteur du Discours sur l’histoire universelle de n’avoir vu le monde, comme le disait un homme d’esprit, qu’à travers son anneau d’évêque gallican, la dernière démarche de l’érudition contemporaine soit d’en revenir au point de vue de Bossuet? Car, il savait bien, aussi lui, ce « rhéteur, » comme l’a quelque part appelé M. Renan, il savait bien qu’il existait une Chine et des Indes; il connaissait l’œuvre des Missions