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V.

Tel était l’argument dont M. Blaine allait en effet user et abuser dans sa campagne protectionniste contre le président démocrate. Le 17 mai dernier, il écrivait de Paris à ses amis du comité national républicain :


La question de la protection intéresse la prospérité du présent et celle des générations futures. S’il était possible, pour chaque électeur de la république, de voir par lui-même quelle est la condition et la rémunération du travail en Europe, le parti du libre échange aux États-Unis ne recevrait pas l’appui d’un seul ouvrier entre le Pacifique et l’Atlantique. Il peut na pas être en notre pouvoir, en tant que philanthropes, de relever la condition des travailleurs européens; mais ce serait une honte pour notre caractère d’hommes d’état que de permettre que le travailleur américain fût abaissé au niveau européen.


Voilà un fier langage, et M. Blaine le prend de haut avec les misères sociales de notre pauvre Europe. On peut seulement lui demander s’il est bien assuré que la condition des travailleurs américains soit à un si haut degré supérieure à celle des ouvriers de l’ancien monde, qu’ils aient plus de bien-être, moins de chômage, moins d’irrégularités dans les conditions de rémunération. S’il en était ainsi, que signifieraient toutes ces grèves qui éclatent à chaque instant sur un point ou l’autre du territoire, et non pas de ces grèves modestes, affectant quelques centaines de familles, comme on en voit de ce côté-ci de l’Océan-Atlantique, mais des grèves formidables, arrêtant brusquement le travail d’industries gigantesques, paralysant les transports, privant de salaires des milliers et des milliers d’hommes?

Pour les économistes de l’ancien monde, les démocrates ont cent fois raison de prétendre qu’un tarif douanier, destiné à procurer des ressources considérables à un trésor aux abois en pleine période de crise, de tourmente et de guerre, et qui, à ce point de vue, a magnifiquement rempli sa fin, a perdu toute justification quand il se survit à lui-même après plus de vingt années de paix et de prospérité, alors que toutes les industries américaines ont eu le temps de se relever et de prendre un développement prodigieux, et que le trésor regorge de disponibilités stériles. Ils ont cent fois raison d’arguer que c’est le tarif de guerre, maintenu en pleine paix, qui tient à des prix si élevés toutes les choses nécessaires à la vie et toutes les marchandises fabriquées, et accable ainsi les classes laborieuses de charges qu’en bonne justice elles ne devraient pas avoir à supporter,