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nos yeux comme une galerie de grotesques. Le général William-Henry Harrison n’était point le fantoche obscur caricaturé ci-dessus, de même que son petit-fils, le locataire désigné de la Maison-Blanche pour le prochain terme, est un fort estimable et digne personnage. Mais ce qui est resté vrai depuis un demi-siècle, c’est le ridicule des log cabin et des hard cider, des emblèmes grossiers ou enfantins, depuis les fameux piquets de la ferme de Lincoln, promenés en triomphe à travers toute l’Union, en 1860, comme le symbole du « travail libre, » jusqu’au foulard rouge du vénérable M. Thurman, qui représentait, il y a quelques mois, le « libre échange britannique, » sans compter les transparens, les adages, les devises, les cortèges carnavalesques, les processions monstres, les charivaris musicaux, et tous ces procédés faits plutôt, ce semble, pour capter les suffrages de pauvres nègres stupides que pour agir sur l’esprit de citoyens intelligens.


II.

Le nouveau président a des ancêtres, avantage dont ne jouissait pas son concurrent M. Cleveland, vrai plébéien, absolument self-made. M. Benjamin Harrison descendrait, dit-on, par son arrière-grand-père, du général Thomas Harrison, exécuté le 13 octobre 1660 à Londres, pour avoir signé la condamnation à mort du roi Charles Ier , et par son arrière-grand’mère, ajoute la légende, de la princesse indienne Pocahontas, fille du roi Powhatan, que rencontrèrent, sur les bords de la rivière James, les premiers colons de la Virginie. Pocahontas, qui avait épousé un officier anglais, John Rolfe, vint en Angleterre et, sous le nom de lady Rebecca, charma la cour par sa grâce et sa dignité. Elle mourut jeune, tuée par le climat brumeux de Londres. De l’union d’une petite-fille de l’Indienne avec un descendant du régicide serait né Benjamin Harrison, gentleman virginien, ami du général Washington. On l’appelait « le gouverneur » parce qu’il fut chef du pouvoir exécutif en Virginie de 1781 à 1784 ; il avait été un des membres les plus distingués et les plus actifs de la chambre des burgesses à Richmond et du congrès continental à Philadelphie. En 1788, il fit une assez vive opposition à l’adoption de la constitution fédérale, et mourut en 1791, laissant le souvenir d’un patriote et d’un citoyen utile à son pays.

William-Henry Harrison, le troisième et plus jeune fils du gouverneur Harrison, naquit en Virginie en 1773. Il avait dix-huit ans quand il perdit son père, et lut placé sous la tutelle de Robert Morris de Pensylvanie, le grand financier de la révolution. Il fit ses