Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/652

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du New-York, il avait été secrétaire d’état, puis ministre à la cour d’Angleterre, et enfin vice-président des États-Unis. Il était arrivé à la présidence en quelque sorte par la voie hiérarchique, et jouissait déjà d’une notoriété nationale lorsqu’il franchit les premiers degrés du pouvoir, tandis que M. Cleveland est passé presque subitement de l’obscurité la plus complète au plus vif éclat, et n’a mis que trois ans pour franchir la distance de la mairie de Buffalo au palais du pouvoir exécutif à Washington.

M. Cleveland a eu cette année pour rival, dans le camp républicain, un ex-sénateur d’un état de l’Ouest, le général Benjamin Harrison. Il y a quarante-huit ans, Van Buren avait pour adversaire, choisi par le parti whig, un ex-sénateur d’un état de l’Ouest, général, lui aussi, et qui s’appelait William-Henry Harrison, grand-père du Benjamin d’aujourd’hui. Les whigs étaient alors ce que sont en 1888 les républicains ; leur principale force était dans les états du Nord, et ils se vantaient de compter dans leurs rangs l’élite intellectuelle de la nation. Dans leur convention nationale, ils avaient eu à choisir entre plusieurs candidats, dont l’un était un des plus grands hommes d’état de son temps, Henry Clay, de même qu’aujourd’hui le parti républicain, au lieu de prendre M. Benjamin Harrison, aurait pu choisir M. James Gillespie Blaine, que ses partisans regardent comme le plus grand homme d’état de la génération actuelle, sinon même de beaucoup de générations précédentes. Mais pas plus que les whigs, en 1840, ne voulurent de Henry Clay, les républicains, cette année, n’ont pris M. Blaine, et exactement pour les mêmes motifs, parce que les démocraties sont méfiantes des grandes supériorités intellectuelles, et que mille jalousies se coalisent pour écarter du pouvoir des noms trop éclatans. Clay et Blaine ont passé leur vie à solliciter vainement les suffrages présidentiels ; le plus souvent même ils n’ont pas obtenu la nomination de leur propre parti pour la candidature officielle. On sait que M. Blaine a si bien compris cette année que sa candidature, s’il réussissait à la poser, serait, comme il y a quatre ans, une cause de divisions profondes et probablement d’échec pour son parti, qu’il a mieux aimé la récuser d’avance par une série de lettres adressées d’Europe à ses amis, quelque temps avant la réunion de la convention. En 1840, M. Henry Clay éprouvait le même sentiment ; il voyait bien que ses chances étaient fort douteuses, en dépit de ses longs services, de sentaient oratoire, de sa grande réputation. Il désespérait de pouvoir réunir toutes les fractions de l’opposition sur son nom. L’administration elle-même souhaitait qu’il fût choisi comme candidat par les whigs, car c’eût été pour elle une chance de succès (et qui ne sait que les amis de