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leur existence, comme celle de tout ce qui est créé en Égypte, fortement discutée; mais, comme ils rendaient de la bonne justice pour tous, que fellahs, Levantins, Turcs, préféraient avoir recours à eux plutôt qu’aux tribunaux de leur caste, ils passèrent par trois prorogations successives : en 1881, pour un an; en 1882, pour deux ans; en 1884, pour cinq. Ils devraient légalement disparaître le 1er février 1889; et, chose étrange, ce serait à l’instigation de celui qui les a créés qu’ils seraient dissous.

Il est un fait certain, et Nubar-Pacha me l’a affirmé, c’est que la réforme judiciaire, telle qu’elle est aujourd’hui, est menacée, et qu’elle a été dénoncée, sinon officiellement par lui, du moins officieusement, aux puissances qui avaient adhéré à son institution. Reste à savoir si les gouvernemens européens y consentiront, ce qui paraît très douteux. Son excellence Nubar voulait avoir le choix des juges sans que les états étrangers auxquels il les eût empruntés aient à le lui imposer, comme cela se pratique aujourd’hui. Ce serait livrer aux ministres égyptiens la justice, la mettre sous leur dépendance et leur permettre de la briser le jour où elle prononcerait contre leurs désirs et leurs vues. Est-ce possible dans la situation bien regrettable dans laquelle se trouve le pays, situation que lui seul s’est faite ? Le jour où il sera débarrassé de ses dettes et d’un odieux protectorat, quand un agent étranger ne viendra plus au palais d’Abdin imposer sa volonté et ses créatures, personne ne pourra empêcher un ministre des affaires étrangères, quel qu’il soit, de composer les tribunaux avec des juges à sa dévotion et d’agir, lui et ses honorables collègues, dans toute la plénitude de leur pouvoir. En attendant ce jour béni, il ne peut y avoir pour des hommes d’état patriotes que deux objectifs : la libération du territoire et l’extinction des dettes publiques.

On m’a assuré que, lorsque lord Dufferin vint au Caire, il essaya d’apporter des changemens aux tribunaux mixtes et d’y mettre la main. Si vives furent les protestations des industriels et des banquiers qu’il y renonça; il dut déclarer que l’Angleterre désirait les maintenir.

Revenons à l’organisation judiciaire en Égypte. Il y a trois tribunaux de première instance : l’un siège à Alexandrie, les deux autres au Caire et à Mansourah. Au-dessus d’eux est placée une cour d’appel qui occupe à Alexandrie, au milieu d’un monceau de ruines, un magnifique palais. Ses décisions sont souveraines. Chaque tribunal de première instance est en principe composé de sept juges, dont quatre sont étrangers et trois indigènes, mais ce nombre peut être augmenté selon la nécessité du service, sans toutefois que la proportion entre indigènes et étrangers fixée ci-dessus