Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tacticiens en inventant une candidature radicale, ne se sont pas aperçus qu’ils faisaient, comme on dit, la partie belle à leur adversaire. Ils ont créé cette situation étrange où tout peut servir le général Boulanger. S’il réussit, c’est assurément un coup des plus graves pour le gouvernement et pour les républicains ; s’il échoue, ce sera peut-être pour lui un titre de plus aux yeux de la province, qui ne voit qu’avec défiance tout ce que fait Paris. Voilà la vérité ! Voilà aussi pourquoi dans cette lutte mal engagée, poussée à outrance, il n’y a aucune place pour les modérés, convaincus qu’il n’y a de garantie pour la France, de force contre toutes les prétentions dictatoriales, que dans une politique de réparation, de pacification morale, d’ordre financier et d’équité libérale !

Décidément, s’il faut en croire les augures, cette année qui commence n’aurait rien de trop menaçant pour l’Europe ; et, sauf l’imprévu, qui a toujours sa redoutable part dans les affaires du monde, la paix serait promise aux nations. C’est déjà un avantage du moment. La paix est dans les paroles officielles, dans le langage des souverains et des ministres ; elle est dans les complimens échangés depuis quelques jours pour l’inauguration de l’année nouvelle.

Les augures ont parlé ! À Berlin comme à Vienne, à Rome comme à Pesth, de toutes parts ce ne sont que protestations rassurantes. Le roi Humbert, en recevant les présidens des chambres italiennes, aurait pris, dit-on, un accent tout sérieux pour affirmer sa bonne volonté et ses espérances pacifiques. Le premier ministre hongrois, M. Tirza, tout en invoquant, selon la rubrique, la triple alliance, s’est élevé contre la guerre et la politique de conquête. L’empereur François-Joseph de son côté, l’empereur Guillaume lui-même, sans faire des déclarations expresses, semblent assez disposés à écarter les mauvais présages. Le 1er janvier s’est donc passé sans remettre les esprits en campagne. À la vérité, ceux qui parlent si bien de la paix ne laissent pas de multiplier en même temps leurs armemens, de demander de nouveaux crédits militaires, de sorte qu’on reste un peu perplexe entre les discours et les actions ; on est réduit une fois de plus à se demander si la parole a été donnée aux hommes d’état pour déguiser ce qu’ils pensent ou ce qu’ils font ou ce qu’ils préparent. Ce ne sont point, à coup sûr, les complimens du jour de l’an qui décideront de l’avenir, même de l’avenir de demain. Somme toute, les apparences ne demeurent pas moins assez généralement favorables pour le moment. On semble d’accord pour se garder autant que possible des grandes aventures, qui, au bout du compte, peuvent être redoutables pour tous. On ne se sent pas disposé à affronter d’un cœur léger des événemens qui, une fois déchaînés, peuvent avoir de terribles conséquences pour les uns ou pour les autres. Il n’y a peut-être rien de plus dans