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comptent pas et qu’ils doivent s’estimer trop heureux de se résigner à la candidature radicale, de combattre un mal avec un autre mal. C’est une homéopathie d’un nouveau genre dont s’accommodera qui voudra !

On veut bien nous dire, il est vrai, sans doute pour rassurer les gens timides et de bonne volonté, qu’il ne faut rien exagérer, que ce radical n’est point un radical trop farouche, qu’on aurait pu choisir un candidat bien autrement accentué, M. Hovelacque ou peut-être M. Cluseret, que M. Jacques est après tout un homme d’affaires entendu et mesuré. C’est tout simplement une manière de déguiser une défaillance, de se payer d’une équivoque. M. Jacques sera tout ce qu’on voudra : un citoyen paisible, un distillateur expérimenté, un président pacifique du conseil-général de la Seine. Il faut bien cependant qu’il ait été choisi pour quelque raison. Ou il ne représente rien sous ce nom vague de candidat de la république qu’on lui donne, ou il représente les idées et les passions du conseil municipal de Paris, l’autonomie communale, la mairie centrale, les laïcisations à outrance qu’il met dans son programme, tout ce que les radicaux préconisent, tout ce que M. Floquet couvre de sa protection. On ne peut pas s’y tromper, c’est pour la république que les comités de la concentration formée à Paris demandent un vote, mais c’est aussi pour la république radicale.

Eh bien ! que M. Jacques soit élu duos ces conditions, à quoi cela conduit-il ? Qu’en sera-t-il le lendemain ? Il faut Voir les choses comme elles sont. On en sera le lendemain exactement au même point que la veille. On n’aura pas sauvé la république de ce qui la menace, on n’en aura pas fini avec M. Boulanger. On aura une manifestation de plus, on chantera victoire, — et on n’en sera pas plus avancé. La politique qui aura triomphé, qui aura reçu une apparence de sanction nouvelle, c’est la politique qui règne depuis quelques années ; c’est la politique du conseil municipal de Paris, de M. le président du conseil, des républicains exclusifs, la politique des guerres de secte, des désordres financiers, des désorganisations administratives, — et c’est justement cette politique qui est la plus efficace auxiliaire du général Boulanger. C’est elle qui lui a frayé la voie, qui a fait sa force et ses succès ; c’est elle qui est encore la meilleure chance de cet étrange favori de la fortune, qui pousse vers lui tous les mécontentemens, toutes les impatiences et les irritations d’un pays qui ne se sent ni protégé ni dirigé, ou qui se sent mal dirigé. De sorte que par l’élection d’un candidat radical on n’aura rien fait, et que voter pour M. Jacques, ce n’est pas réellement voter contre le général Boulanger, c’est voter encore pour ce qui conduit au général Boulanger ; c’est voter pour tout ce qui prolonge et aggrave une de ces crises d’anarchie où prospèrent les idées de dictature. Les républicains, qui se sont crus d’habiles