Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/445

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
439
LE TESTAMENT DU DOCTEUR IRNERIUS.

Tout frissonnant, je posai mon chandelier sur la table, en lui donnant une telle secousse que j’entendis remuer l’encrier. Puis, je m’affaissai dans le fauteuil. Je me dis qu’en ce moment mon pauvre oncle Irnerius venait de mourir, lui aussi.

D’où me venait cet avertissement ?

?..

Et le portrait me regardait toujours, immobile, avec ses yeux légèrement rougis, comme s’il eût pleuré !

La flamme de la bougie brûlait tranquillement, et le portrait n’avait pas changé d’expression. Le cadavre du chien gisait à mes pieds. Tout était silencieux et calme. Je n’entendais que le bruit que faisaient les vers du bois en rongeant la charpente, et, de temps à autre, le vent qui frappait doucement aux vitres.

VI.

Je continuai de vivre jusqu’à l’automne dans cette maison solitaire, noircie par le temps. Mais il me fut impossible de travailler. Le Protée, la Contrainte infernale et le dossier de la Hämmerling dormaient à côté du cahier de papier à moitié griffonné. Je passais des nuits blanches à méditer et à rêver. J’errais, dans ces chambres sonores, parmi les vieux meubles, et nulle part je ne trouvais ni repos ni paix.

Les orages de l’automne balayaient le pays, s’égaraient jusque dans cette ruelle étroite et éloignée, faisant tourbillonner la poussière, et secouant violemment les croisées dans la nuit. Au milieu de ce vacarme, il me semblait entendre des mélodies et des harmonies qui me remplissaient de terreur. Le violon de feu Irnerius se lamentait, sans repos, au souvenir de son foyer perdu, de ce foyer où mon oncle avait vécu durant de longues années, seul avec son secret troublant, loin des hommes.

Réfléchissant sans cesse à ce secret, pendant la nuit, dans un demi-rêve, ou pendant une veille pleine d’inquiétude, dans des chambres où l’on s’effraie du bruit de ses propres pas, j’arrivais à faire mien ce secret. Mais où en était la solution ? Dans le testament de mon oncle, muet, fermé, inaccessible, protégé par mon serment.

J’étais seul sur la terre ; aucun bras n’avait enlacé mon cou de son étreinte, aucun amour pour quelque créature de ce monde n’échauffait mon cœur de vieil étudiant. Même l’attrait passionné des bûchers flamboyans de la superstition s’était éteint dans ces chambres solitaires, avec leur secret planant dans l’air lourd, dans les meubles silencieux, dans les grandes ombres noires, dans l’écho retentissant, dans ces rêves désenchantans de l’âme, qui,