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donna passage et monta, devant moi, un escalier qui craquait à chaque pas. Il s’arrêta dans les ténèbres du couloir.

— Voilà la porte, dit-il. Attendez un instant ici, monsieur.

Bientôt je distinguai, dans la demi-obscurité, une forme carrée. C’était la porte par où venait d’entrer le vieux domestique. Il ne paraissait pas y avoir de lumière au-delà. J’entendais parler à l’intérieur. Peu après, je vis une lueur filtrer sous la porte, et aussitôt celle-ci s’ouvrir. — Entrez, monsieur, me dit le domestique.

J’entrai et ne vis d’abord qu’une lampe allumée, posée sur une table ; puis, j’aperçus un vieillard jaune, ridé, dans une robe de chambre longue et noire, avec de minces boucles de cheveux argentés, assis dans un grand fauteuil noirci par le temps. Dispersés devant lui, sur la table, des cahiers de musique.

Il me regarda de ses grands yeux sombres et éteints, sans prononcer un mot.

— Bonsoir, mon oncle, lui dis-je en mettant mon chapeau sur la table. Eh bien ! me voilà.

— Tes bagages sont déjà arrivés ? fit-il.

Puis, il me regarda de nouveau. Ensuite, il me tendit la main et me dit :

— Sois le bienvenu. Mets-toi à ton aise. Franz te conduira à ta chambre. Après, tu pourras descendre, et nous souperons. Puis, tu te coucheras. Tu dois être fatigué… Sois le bienvenu.

— Merci, mon oncle.

III.

Le souper se passa presque en silence.

Mon oncle était un vieillard taciturne, jaune et sec comme une momie. Sa main tremblait et sa tête s’inclinait parfois, faiblement, sur sa poitrine. C’était une vie près de s’éteindre. Il me demanda des nouvelles de mon père. Mais de lui-même, il ne me disait rien. Il ne disait pas même qu’il était malade.

Le vieux Franz servait à table. Il y avait aussi un vieux chien qui s’appelait Médor. À peine pouvait-il marcher, et il avait beaucoup de poils blancs sur sa peau d’un noir mat. Les vieux chiens sont toujours laids et répugnans. Le vieux Médor était toujours couché sous le fauteuil de son maître. Et quand celui-ci faisait claquer ses doigts faibles et tremblans, c’est à peine si Médor pouvait entr’ouvrir les paupières.

Nous dînâmes dans la petite chambre où mon oncle m’avait reçu.