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partie du désert libyque, en allant féconder les solitudes qui s’étendent jusqu’à la Tripolitaine. Les ruines des villes qu’on y rencontre en sont la preuve. Comprendra-t on maintenant quelle éventualité menace l’Egypte dans un temps plus ou moins rapproché, à la première que d’une force exceptionnelle ? C’est l’inondation du Delta, mais du Delta sans canaux, sans barrages suffisans pour ne pas la rendre désastreuse.

La crue du Nil, saluée autrefois par ces paroles des prêtres : « Salut, ô Nil, toi qui viens donner la vie à l’Egypte ! » passe impétueuse devant Boulaq à raison de 10,000 mètres cubes par seconde ; tout ce que les canaux, les tranchées et les sables qui bordent le désert n’ont pu garder, va se jeter dans la mer. C’est cette eau perdue qu’il faudrait pouvoir garder dans la Haute-Egypte ; qui peut prévoir si, l’année prochaine, la crue ne sera pas dévastatrice ou si une sécheresse implacable ne se produira pas ? Ce que l’on exécute de travaux en ce moment ne garantit donc le pays ni contre le manque d’eau ni contre les inondations. Il a été question de creuser de nouveau le lac Mœris ; mais cet immense réservoir, par sa situation, serait sans utilité pour les irrigations du Delta. On a le majestueux barrage de Mougel-Bey, dira-t-on ; mais, d’après Linant-Pacha, cette œuvre admirable ne devrait être que le dernier échelon d’une série d’autres grands barrages élevés sur le Nil, à Wadi-Halfa, Djebel-Silsileh, Sohag et Galioub, par exemple.

Le cours du fleuve de Wadi-Halfa à la mer, sur une étendue de plus de 300 lieues, serait ainsi partagé en quatre biefs successifs qui permettraient de rendre à la culture d’immenses terrains aujourd’hui stériles. Tous les travaux que l’on exécute aujourd’hui dans la Basse-Egypte seront donc sans utilité, je le répète, si on ne se met en garde contre l’avenir.

Il est encore une autre question dont l’importance est grande. La terre d’Egypte est salée, aussi bien la terre cultivée que le sable du désert, et cela aux altitudes les plus basses comme aux plus élevées, au bord de la mer comme à Assouan, où bouillonne la première cataracte. La pierre l’est aussi ; par les milliards de coquillages et les fragmens sans nombre de polypiers ramifiés qui se trouvent sur les plateaux rocheux de l’Egypte, il est avéré que le pays a été sous la mer dans les temps préhistoriques, et qu’il a toujours conservé les matières salines dont il a été imprégné par suite de l’absence à peu près totale de pluie. Si les matériaux de construction, pierres, chaux, sables et plâtres, sont de mauvaise qualité et d’un mauvais emploi en raison de leur salure, cette même salure peut faire un grand ruai à l’agriculture de la vallée du Nil, et c’est inutile, je suppose, de le prouver longuement.