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— anglais, bien entendu, — qui refusaient avec hauteur de donner le moindre éclaircissement sur l’emploi des millions mis à leur disposition pour des travaux de barrage exécutés sur le Nil. Ces ingénieurs venaient des bords du Gange, où, paraît-il, il est contre l’usage et contraire à la dignité des fonctionnaires de rendre des comptes. Toutes ces mesures préventives prouvent que l’Égypte est, comme l’enfer, pavée de bonnes intentions, mais ce n’en est pas moins un enfer.

Quelle est la conséquence de ces tâtonnemens, de ces façons inintelligentes de toucher aux terres du Delta ? Une dépréciation inévitable du prix du sol. De belles propriétés pour lesquelles, il y a cinq ou six ans, on offrait 50 et 60 livres par feddan, sont tombées l’année dernière à 14 ou 15 livres. C’est ce qui s’est produit aux portes du Caire pour les magnifiques domaines appartenant à une princesse connue. Il en a été de même pour les propriétés de la princesse Aïn-el-Hayate-Hanem, au sud de la Moudirieh-Béhéra ; pour les terres d’Aly-bey-Koura, situées au centre de la Gharbieh, et pour d’autres lots de terrain de la région de Zifté. Des retraités de l’état, cherchant à échanger leur pension contre des propriétés devant produire l’équivalent de ces pensions, se sont vu offrir de belles terres avec une réduction de 20 à 25 pour 100 sur les prix ordinaires d’estimation. Les domaines qui sont, comme on sait, gérés pour le compte de MM. de Rothschild, avaient tout auprès du Caire 500 à 600 feddans de beaux terrains, mais d’une importance trop minime pour couvrir les frais de gestion et les impôts. L’irrigation en était assurée par le grand canal Ismaïlia, les canaux Boulakieh et Khalig-el-Massi, et la valeur du feddan, premier coût, n’avait pas été au-dessous de 800 à 900 fr. Le directeur des domaines a voulu s’en défaire, et les offres des acheteurs n’ont pas dépassé les chiffres de 350 à 400 francs, soit une baisse de plus de 50 pour 100 !

L’on m’assure que ce ne sont pas là des cas isolés ; qu’il n’y aurait qu’à demander aux tribunaux mixtes et indigènes, au Crédit foncier et au ministère des finances, la liste des terrains vendus depuis quelques années et celle des lots en vente pour avoir une idée d’une dépréciation énorme, indice, en Égypte comme en France, du mauvais état de l’agriculture.

Des propriétaires agriculteurs, renommés pour leur richesse, ont disparu. Que sont-ils devenus ? Il y aurait bien d’autres ruines si le Crédit foncier et des personnes influentes n’étaient accourus pour conjurer des désastres imminens. Il est encore un fait certain, c’est que la majorité des princes et des pachas, et un nombre considérable de fellahs, sont, en raison de l’épuisement de leurs propriétés,