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faible, la sécheresse accomplit son œuvre dévastatrice. Est-elle trop forte ? Alors c’est la lutte incessante, la réquisition forcée, la misère, la famine et la mort. Qu’on juge par cela quelle attention, quel dévoûment, quelle science mettent en jeu les ingénieurs chargés des services d’irrigation ! Et partout des barrières, des digues, des barrages, à ouvrir, à fermer ou à supprimer. On a paru surpris, en voyant les anciens monumens d’Egypte si parfaitement conservés, de ne pas trouver un seul ouvrage d’irrigation remontant à l’époque où le vertueux Joseph faisait creuser le canal qui porte toujours son nom. Les Égyptiens n’ont jamais dû songer à faire des ouvrages, de maçonnerie, m’a dit, au Caire, un ingénieur français des plus compétens, là où il n’y avait pas de sous-sol résistant. Et, de plus, ils n’en avaient guère besoin, en général, étant donné leur genre de culture. Alors, on ne cultivait ni les cotonniers, ni les cannes à sucre, ni les rizières, qui exigent de l’eau.

On a déjà peut-être soupçonné que l’Angleterre, par crainte de se Voir enlever un jour par la Russie son empire des Indes, avait songé comme compensation à la conquête du Soudan et des vastes régions qui s’étendent jusqu’au lac Nyanza. C’eût été achever l’œuvre depuis longtemps commencée par les associations religieuses qui, de Londres, étendent leur réseau jusqu’au continent africain. C’était la création de l’empire nord-oriental rêvé par Speke, indiqué par Samuel Baker, et dont, à cette heure même, un homme qui commande une attention universelle, Stanley, poursuit la réalisation avec une intrépidité admirable. On a vu qu’un soi-disant prophète, le mâhdi soudanais, appelant ses disciples aux armes, les animant de son indomptable énergie, avait fait échouer ce projet grandiose en chassant les Égyptiens et à leur suite les Anglais. Ceux-ci n’y perdaient rien ; ceux-là voyaient tomber à néant l’un de leurs marchés les plus riches.

Il ne manquait plus à l’Angleterre, pour justifier le dire de ceux qui appellent les Anglais la « huitième plaie d’Egypte, » de faire perdre encore à leurs protégés une autre source de leurs richesses. Cela devenait inévitable, le jour où, croyant découvrir le Nil, ils lui ont appliqué les systèmes de canalisation et d’irrigation en usage aux bords du Gange et de l’Iraouaddy ; lorsque, pour placer leurs créatures, des ingénieurs sans emploi, dont le chef ne perçoit pas moins de 100,000 francs par an, ils ont relégué au dernier plan des travaux publics de vieux serviteurs européens et indigènes. Et si encore, en payant très cher leurs compatriotes, il n’y avait eu, du moins, ni gaspillage, ni fausse direction, ni menace pour les récoltes ! Bien loin de là : les exemples de leur incurie sont sans nombre. C’est ainsi que tout le monde se souvient au Caire de ce