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Les Anglais étaient loin de s’attendre à un pareil résultat, mais il est probable que le panislamisme leur réserve d’autres surprises tout aussi peu agréables. Ils comptaient dominer dans la Haute-Egypte ou plutôt au Soudan, comme ils dominent au Caire au palais d’Abdin. Et voilà que ce Soudan leur est fermé ! Le rêve qu’ils caressaient était pourtant bien beau : des contrées que personne jusqu’ici n’avait exploitées ; des millions d’hommes nus à habiller ; des produits de l’Afrique, — les plus riches, — à échanger contre ce qu’il y avait de plus ordinaire en pacotilles d’exportation, et cela à deux pas de Malte et de Candie, et sur cette route de Suez dont ils sont les maîtres, malgré les illusions que se font à ce sujet les puissances ayant des colonies et des intérêts dans les détroits de la Sonde, la mer des Indes et l’Océan-Pacifique. Est-ce en s’alliant à Zanzibar avec les Allemands, en laissant ceux-ci bombarder les villages de la côte qu’ils espèrent regagner le terrain perdu ? Certainement non, et l’heure n’est pas éloignée où ils regretteront d’éliminer d’Egypte la nation qui combattit à leurs côtés en Crimée et en Chine, et l’on sait pour quels avantages.

Pour se venger des Soudaniens qu’ils ne pouvaient atteindre par les armes, quoique ceux-ci n’aient jamais refusé le combat, les Anglais obligèrent le gouvernement égyptien à cesser toutes relations commerciales avec les rebelles. Les caravanes furent consignées à la frontière dans L’espoir que la ruine du pays le leur livrerait plus sûrement. C’était de bonne guerre, à la rigueur, mais il y avait autre chose qui ne l’était guère. Qu’on en juge.

Pendant que les Anglais étaient dans ces parages, ils avaient détache du mâhdi, en les achetant à prix d’or, les guerriers des tribus kababiches, guerriers pillards, écumeurs du désert. D’après les résultats obtenus, il est permis de croire que ces Kababiches n’ont pas rendu au début de grands services. Aujourd’hui, ils en rendent de plus réels ; les Anglais leur fournissent des armes et des munitions pour attaquer les caravanes en toute circonstance, et les écumeurs ne s’en privent pas. Lorsque l’émir Abdul-Alaî succéda, au victorieux mâhdi, qui, lui aussi, est allé rejoindre où ils se trouvent les nombreux prophètes qui l’ont précédé, il envoya un des siens au khédive pour l’assurer de sa soumission et lui dire qu’il voulait rendre à la liberté les prisonniers européens et égyptiens tombés en son pouvoir. En échange, L’émir demandait que l’on traitât ses disciples en amis, et que la réconciliation fût scellée par l’ouverture du Nil aux bateaux soudaniens et l’accès du désert aux caravanes. La proposition fut acceptée ; mais lorsque les gens du Sud, confians dans la parole donnée, firent partir leurs chameaux et leurs barques chargés de denrées dans la direction de l’Egypte, les