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la conquête du Darfour et du Kordofan qu’il commençait, pour attendre l’ennemi dans des conditions qui lui fussent favorables. De son côté, le général Hicks quittait Khartoum pour aller à la recherche du prophète ; et, le croyant dans le Kordofan, il s’y achemina avec tout ce dont il pouvait disposer, mais aussi avec une imprudence sans égale.

Le Darfour, d’après ce qu’en dit le colonel Hennebert, est un pays peu connu, visité en 1799 par Browne, et, récemment, par le docteur Nachtigal, qui, à Paris, nous a raconté quelques-uns de ses grands voyages. Cette mystérieuse région est dotée de montagnes riches en minerais. A la saison des pluies, la terre qui, pendant de longs mois, a souffert de la sécheresse, se couvre d’une végétation aussi splendide que spontanée ; cette belle verdure est dominée par des sycomores, des platanes et des tamarins que l’on est sûr de voir en Asie comme en Afrique, là où se trouve une vallée rafraîchie par un joyeux cours d’eau. Sa population, composée de quatre à cinq millions de musulmans arabes et nègres, n’y vit que de la culture du maïs et du millet ; pas d’industrie, mais un échange continu de bœufs, de chameaux, de chevaux, d’ambre, de verroterie, de cotonnades et d’esclaves noirs.

Le Kordofan ne nous est connu que par les récits des explorateurs Bruce, Browne, Cailliaud, Ruppel et Russegger ; le dernier voyageur qui l’ait visité est le colonel Colston, qui s’y trouvait en 1875. La partie orientale appartient au bassin du Nil ; à l’est, le Kordofan est baigné par le Nil blanc, et il s’étend, à l’ouest, jusqu’aux solitudes du Darfour, entre les 12e et 15e degrés de latitude nord. C’est encore une morne contrée, légèrement ondulée, et que couvrent des broussailles sombres, des mimosas aux fleurs d’un jaune pâle et quelques baobabs solitaires. Il s’y trouve aussi des minerais qu’on n’exploite pas ; et, comme il n’y pleut guère, il y pousse peu de choses pouvant servir à la nourriture de l’homme.

On n’a jamais su la direction prise par le général Hicks après son départ de Khartoum. On suppose qu’il marcha à l’aventure pendant deux longs mois dans cette horrible Thébaïde, n’ayant pour combattre la faim que du biscuit, et rarement de l’eau à boire. Les puits avaient été soigneusement comblés par ordre du prophète.

Soudain, à Khartoum, on apprend avec terreur que cinq cents hommes, envoyés à la recherche de Hicks-Pacha, ont été surpris par les Soudaniens dans les gorges de Tokar, puis égorgés jusqu’au dernier. Un autre jour, le bruit se répand dans la même ville que le Prophète est entré victorieux dans El-Obeïd ; qu’il y est entré avec un immense butin, et que des têtes d’officiers anglais, au nombre de quarante, sont accrochées aux portes de cette ville. Et,