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de la grande mission qu’il tient directement du gouvernement égyptien, sous la pleine responsabilité monde et politique du cabinet britannique. » En veut-on d’autres preuves ? Gordon parle de l’éventualité d’une entrevue avec le mâhdi, et sir E. Baring lui interdit toute démarche de ce genre. Gordon propose de se rendre dans les provinces équatoriales, et le gouvernement de Sa Majesté refuse de sanctionner des opérations tentées au-delà de Khartoum. Gordon avait instamment prié qu’on lui envoyât 3,000 soldats turcs à la solde de l’Angleterre ; 3,000 Turcs de ceux de Plevna eussent fait merveille : il ne lui en fut pas envoyé un seul. Gordon réclame alors des troupes indiennes musulmanes ; nouveau refus. Dans une série de onze télégrammes, le malheureux Gordon expose le péril de la situation si on n’envoie pas quelques soldats anglais à Ouedy-Halfa, et si on ne l’aide pas à rétablir les communications entre Berber et Souakim ; il démontre victorieusement qu’il ne reste plus que deux partis à prendre : ou abandonner le Soudan au mâhdi ou le donner à Zuberh, le célèbre marchand d’esclaves, prisonnier au Caire. Aucune de ces deux solutions n’est adoptée.

Livré à lui-même, le héros de Khartoum eût sinon triomphé comme Emin-Pacha, du moins sauvé à coup sûr les garnisons égyptiennes d’un égorgement, et protégé le départ de tous ceux qui ne demandaient qu’à quitter le pays en prévision du sort horrible qui les attendait.

On a été frappé d’une singulière coïncidence et qui a fait croire à une vaste conspiration du panislamisme : à 500 lieues de distance, presque le même jour, Arabi et le mâhdi se soulevaient. Le premier, au nom d’un parti national qui ne voyait dans le khédive nouvellement élu qu’un jouet des étrangers et dans ses ministres des hommes habiles à tirer parti de l’expérience d’un trop jeune souverain. Le second, le « maître de l’heure, » au nom de la foi musulmane, et dont le triomphe sur les chrétiens devait ouvrir au monde des croyans, — et ce monde est immense, — une ère de prospérité et de gloire.

Le prétexte apparent du soulèvement des populations soudaniennes était, d’après elles, la souillure qu’infligeait au pays la présence d’un grand nombre d’Européens. Mais il y avait d’autres prétextes plus puissans. C’était la vénalité des fonctionnaires égyptiens dans la Haute-Égypte et leurs procédés arbitraires pour prélever les impôts. C’était aussi, — le plus important de tous, la défense qui leur avait été faite de se livrer à la traite des nègres. Il faut dire que c’est ce trafic qui faisait à Khartoum la richesse des partisans du mâhdi et celle des tribus baggaras, comme il faisait à Zanzibar la fortune des Arabes marchands d’esclaves avant que l’Allemagne et l’Angleterre n’intervinssent. Ce sont ces Baggaras qui,