Il faut qu’il nous raconte par le détail tout le passage de la Mer-Rouge et conduise les Israélites jusqu’au seuil de la terre sainte ; et même, quand ils y sont parvenus, tout n’est pas encore fini : cette arrivée triomphante du peuple de Dieu dans la Palestine lui semble une allégorie de l’entrée des âmes pieuses au séjour céleste, ce qui naturellement nous amène une très poétique description du paradis. — Tout cela est décrit en vers fort agréables, mais il faut avouer que nous voilà bien loin du point de départ et que nous avons tout à fait oublié « l’heure où s’allument les lampes. »
Cette marche désordonnée, cette facilité à passer d’un sujet à l’autre sous le plus léger prétexte, cette invasion de récits étrangers qui arrêtent à chaque instant le cours régulier des idées, nous font songer presque malgré nous aux Odes de Pindare. Si le talent des deux poètes n’est pas égal, leurs procédés se ressemblent. Quelque différence que nous mettions entre eux dans notre admiration, nous ne pouvons nous empêcher de trouver, chez le plus grand, comme chez l’autre, des longueurs qui nous impatientent. Mais il est probable que les contemporains ne pensaient pas comme nous. Ces souvenirs des légendes mythologiques et de l’histoire sacrée, qui nous paraissent quelquefois médiocrement amenés et développés avec trop de complaisance, étaient alors si vivans dans l’imagination de tout le monde qu’ils paraissaient toujours venir à propos et qu’on ne se lassait pas de les entendre. Comme le public faisait le rapprochement avant le poète, ce que nous trouvons un hors-d’œuvre lui semblait parfaitement à sa place. Par malheur, nous ne sommes plus dans les mêmes dispositions aujourd’hui. Ces récits nous étant devenus moins familiers, il nous faut un effort d’esprit pour voir le rapport qu’ils ont avec le sujet traité par le poète. Aussi arrive-t-il pour les hymnes de Prudence, comme pour les Odes de Pindare, que nous avons quelque peine à suivre le développement des idées, et que les détails nous paraissent supérieurs à l’ensemble. Chez tous les deux, ils gagnent à être isolés et étudiés à part. Dans les hymnes mêmes de Prudence qui nous plaisent le moins, il est rare qu’il ne se trouve pas de très beaux passages. Le style y est en général plus pur que celui des autres écrivains de ce temps[1] ; et même quand il a des idées nouvelles à exprimer, il y
- ↑ Ne croirait-on pas, par exemple, que c’est un poète de la bonne époque qui a écrit cette strophe, où il nous décrit les ténèbres de la nuit qui se dissipent et la terre qui se revêt de couleurs brillantes, aux premiers rayons du soleil :
- Caligo terræ scinditur
- Percussa solis spiculo,
- Rebusque jam color redit
- Vultu nitentis sideris.