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« Quittez, dit-il, la couche oisive
Où vous ensevelit une molle langueur.
Sobres, chastes et purs, l’œil et l’âme attentive,
Veiller : je suis tout proche et frappe à votre cœur. »


On voit combien les deux morceaux se ressemblent. Dans l’hymne qui suit, les mêmes idées se retrouvent : ici encore, c’est l’inspiration directe de saint Ambroise que Prudence a reçue et qu’il a transmise à Racine, dont je demande la permission de citer encore une fois les beaux vers :


L’aurore brillante et vermeille
Prépare le chemin au soleil qui la suit ;
Tout rit aux premiers traits du jour qui se réveille :
Retirez-vous, démons, qui volez dans la nuit.
Fuyez, songes, troupe menteuse,
Dangereux ennemis par la nuit enfantés,
Et que fuie avec vous la mémoire honteuse
Des objets qu’à nos sens vous avez présentés.
Chantons l’auteur de la lumière
Jusqu’au jour où son ordre a marqué notre fin,
Et qu’en le bénissant notre aurore dernière
Se perde en un midi, sans soir et sans matin !


Il y a pourtant, dans les hymnes mêmes des deux poètes qui se ressemblent le plus, quelque chose qui diffère toujours, c’est l’étendue ; tandis que de petites pièces de trente-deux vers suffisent à l’inspiration de saint Ambroise, la plus courte, dans le recueil de Prudence, en a plus de cent. Tout prend chez lui plus de développement et d’ampleur : où l’un se contentait d’un trait, l’autre insiste et fait un tableau. C’est ce qui est visible surtout dans la façon dont ils rappellent l’un et l’autre les souvenirs de l’Écriture ; ce qui n’est qu’une allusion chez saint Ambroise devient, chez Prudence, un long récit. Dans l’hymne pour l’heure où l’on allume les lampes (Hymnus ad incensum lucerna), il commence par décrire en vers charmans « ces feux mobiles dont, le soir, brillent nos demeures, cette lumière rivale de celle du jour, devant laquelle la nuit s’enfuit avec son noir manteau déchiré. » À ce spectacle qui le charme, les souvenirs de l’Ancien Testament lui reviennent ; il songe au buisson ardent dans lequel Dieu parlait à Moïse, à la colonne enflammée qui guidait la nuit le peuple d’Israël, quand il sortit de l’Egypte. Ce dernier événement est si grand, si mémorable, qu’une fois qu’il s’est présenté à l’esprit du poète, il n’en sort plus.