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IV

L’examen de la question des remontes, au point de vue des procédés actuellement en usage en France, nous permet de constater qu’un progrès considérable a été réalisé par le fait de l’abaissement à trois ans et demi de l’âge minimum des animaux à acheter. Il n’y a qu’à étendre et à généraliser la mesure, car les chevaux de trois ans et demi n’entrent jusqu’ici, dans les achats annuels, que dans la proportion du quart. A cette condition, la remonte reste maîtresse du marché, car le commerce ne peut utiliser les chevaux sitôt, et le seul moyen efficace pour stimuler la production consiste à débarrasser l’éleveur du jeune cheval, qui, pour lui, représente un capital improductif. Peut-on croire qu’en prolongeant d’un an ou de dix-huit mois le séjour des animaux chez le propriétaire, ils seraient plus prêts à entrer en service, ou en dressage, au sortir de la ferme ? « Il faudrait pour cela, nous dit très justement un officier de remonte[1], qu’ils fussent nourris au grain et au sec dès l’âge de trois ans, ou au moins de trois ans et demi. Les éleveurs y consentiront-ils ? Ils le promettront si l’on veut, mais ils n’en feront rien, et ils auront raison, l’élevage au sec et au grain les constituerait en perte. Ils feront bien ce sacrifice pour quelques chevaux d’élite qui compenseront plus tard, par leur prix de vente au commerce, les frais qu’ils auront faits pour leur élevage ; mais ce sera l’exception. Ils ne le feront jamais pour le cheval de remonte. Ils continueront l’élevage à l’herbe du cheval d’armes, sauf pendant quelques mois d’hiver, mois pendant lesquels ils les nourriront aux farineux ; ils les mettront gras, luisans pour la vente. Cet animal aura toutes les apparences de la santé ; mais ses fibres et ses viscères n’en seront pas moins relâchés par cette nourriture aqueuse et peu substantielle. Le développement du cheval est lent sous l’influence d’un pareil régime, sa trempe et ses forces sont retardées. Il aura bien, peut-être, toutes les apparences extérieures de la santé et de la vigueur, mais il lui faudra quand même de douze à quinze mois d’une nourriture sèche et à l’avoine pour le mettre en état de supporter les fatigues du dressage, pour changer sa lymphe, son sang aqueux, en un sang riche et généreux, pour tremper enfin tout son organisme et le rendre aussi résistant que possible. »

Ces faits sont indéniables ; ils sont connus et constatés, et tous les hommes de cheval sont d’accord ; personne d’ailleurs dans

  1. La Question des remontes. Caen, 1885.