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mesure de remplir la commande. A cela pourtant manque un détail : le prix d’achat ! Celui-ci, en aucun temps, n’a été en rapport avec le prix de revient du produit. Singulière anomalie, au moindre bruit de guerre, l’acheteur hausse ses prix et, prenant volontiers de toute main, baisse ses exigences au point de vue des qualités et des aptitudes jusqu’à l’insuffisance notoire. Opérant à rebours pendant la paix, il liarde, est difficile au-delà de toute raison et semble prendre à tâche de décourager l’éleveur. Les affaires ainsi menées n’arrivent point à bien. Le résultat ici est déplorable ; la remonte et l’élevage ne parvenant pas à s’entendre sur le terrain qui leur est commun, il est advenu qu’au lieu d’acheter chez lui, le ministre de la guerre remet à des marchands le soin de fournir à l’état les chevaux dont il a besoin. Or, ces marchands achètent à l’étranger, où ils portent l’argent de la France et un encouragement à l’industrie rivale, fermant ainsi à la production indigène délaissée le débouché le plus sûr qui puisse lui être ouvert. Il en résulte qu’au lieu de trouver là un auxiliaire utile et nécessaire, son meilleur et plus solide appui, l’administration des haras ne trouve qu’un malencontreux adversaire dont les agissemens opposent un obstacle invincible à l’œuvre première qu’elle est tenue de poursuivre et de réaliser au profit de la production régulière du bon cheval de troupe. Envisageant celui-ci comme une arme de guerre, je dis qu’il n’est ni sage ni économique d’en confier la fabrication à ceux-là mêmes qui demain peut-être seront nos ennemis. Soucieuse de remplir cette partie de la tâche qui lui incombe, l’administration des haras a souvent appelé sur ce point l’attention du gouvernement. Mais aucun changement sérieux ne s’est effectué, et la situation semble devoir rester encore longtemps ce qu’elle est. En ces deux points je la résume : grandes dépenses en partie consenties pour stimuler la production nationale du cheval d’armes que le ministre de la guerre n’achète pas ; achats permanens à l’étranger, avec l’argent des contribuables, de chevaux très inférieurs aux produits indigènes…

« Le reproche que l’administration de la guerre a souvent adressé à l’élevage de ne pas lui faire le cheval de ses rêves peut-il être mérité, est-il sérieux quand elle donne ses préférences au cheval étranger, lequel vit plus à l’infirmerie que dans ses rangs ? On ne s’ingénie pas à produire pour un consommateur absent, on ne se met pas en peine d’élever pour un acheteur capricieux dont les prix ne montent pas au taux des frais de production. La certitude de vendre à perte n’a jamais été un stimulant pour aucun producteur. »

Trois systèmes de remonte ont été pratiqués en France : 1° achats