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Pendant tout le XVIIIe siècle, — on sait que la monarchie prussienne date de 1701, — nous voyons les souverains, de Frédéric Ier à Frédéric-Guillaume III, chercher l’amélioration de l’élevage, dans leurs états, par la création de haras et de jumenteries, et l’introduction alternative d’étalons de toute race, danois, frisons, napolitains, andalous, turcs ou arabes. Frédéric II lui-même, qui, malgré l’activité de sa politique extérieure, s’occupait volontiers des moindres détails d’organisation, paraît avoir désespéré tant de l’amélioration des chevaux indigènes que de la création de nouvelles races : il n’admettait pour la remonte des écuries royales que des chevaux étrangers, tirés principalement d’Angleterre. Les quelques tentatives de ce prince en faveur de l’élevage sont faites sans conviction et partant sans succès. Pendant cette période séculaire, la cavalerie allemande ne se remonte qu’à l’étranger ; elle recherche à cet effet deux types de chevaux : le cheval de grosse cavalerie, qu’elle tire du Holstein, du Hanovre, et le cheval de cavalerie légère dit de race polonaise. Mais on confondait sous cette dénomination tous les animaux provenant des régions soumises à la souveraineté, soit de la Pologne, de la Russie ou de la Turquie ; les marchés les plus fréquentés étaient ceux de la Moldavie, de la Valachie, de la Volhynie, de la Podolie, de la Bessarabie, de l’Ukraine, de la Crimée et des pays habités par les Cosaques et les Tcherkesses, c’est-à dire le territoire baigné par le Pruth et le Don, le littoral de la Mer-Noire et de la mer d’Azov. On se procurait ces chevaux, soit en passant des marchés avec des fournisseurs généralement juifs ou arméniens, soit en les faisant acheter dans le pays même par des commissions de remonte formées d’officiers prussiens. Ce dernier mode paraissait le plus avantageux, malgré les inconvéniens qu’entraînait le passage de nombreux officiers et cavaliers, formant parfois des troupes de plus d’un millier d’hommes, au travers de pays étrangers. Malgré les hasards de ces longues pérégrinations, malgré le nombre d’animaux perdus en route, ou à l’arrivée pendant la période d’acclimatement, malgré les épizooties que propageaient quelquefois les déplacemens de telles quantités de jeunes chevaux, malgré les frais de toute sorte entraînés, tant par les droits de douane en pays chrétien que par les cadeaux obligatoires aux divers représentais de l’autorité en pays musulman, les « remontes polonaises » coulaient moins cher à l’état que les remontes allemandes et rendaient de meilleurs services. Le tempérament lymphatique des grands chevaux du Nord, le peu de densité de leurs os et de leurs muscles, le manque de trempe des tendons et cartilages articulaires, rendaient ces animaux peu propres à supporter les fatigues de la guerre.