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« éducation gratuite et obligatoire pour toutes les classes, avec la fourniture d’au moins un repas sain chaque jour dans chaque école. » On est en train de remplir ce programme à Paris avec la caisse des écoles, les cantines scolaires, les pupilles de la ville de Paris, etc. Certes, il était utile que des âmes bienfaisantes se chargeassent de vêtir les enfans qui, par la pauvreté de leurs familles, auraient dû rougir de leurs loques devant leurs camarades ; la charité individuelle avait là devant elle un champ qu’elle pouvait parcourir. L’état s’en empare, l’état généralise tout, transforme tout secours en droit, c’est-à-dire qu’il corrompt tout. La ville de Paris nourrit déjà une grande quantité d’enfans, mais l’on veut la pousser plus loin. Ces enfans, qu’on retient à l’école jusqu’à treize ou quatorze ans, ils pourraient gagner quelque chose pour la famille ; on prive donc celle-ci d’une ressource, il faut la lui rendre, l’indemniser. Non-seulement les enfans ne paieront plus rien pour leurs frais d’école, leurs livres de classe, leur tenue scolaire, leurs repas à l’école ; mais bientôt on paiera les parens, tout comme, sous l’ancienne révolution, on payait les citoyens qui assistaient aux débats des sections.

Comme il est dans la nature de l’état, plus particulièrement encore de l’état moderne, soumis à la force impulsive des élections, d’exagérer l’application de tout principe, on retrouve ce caractère dans les examens multipliés et désolans auxquels, sur tout l’ensemble de notre territoire, on soumet les enfans qui finissent leurs études primaires. Cette pratique des certificats d’études nous est venue d’Angleterre. Elle séduisait. On a voulu proportionner certaines récompenses des maîtres aux succès obtenus par leurs élèves dans les examens. On n’avait pas réfléchi qu’on allait généraliser dans toutes les couches du pays un mal dont on se plaignait que les classes moyennes fussent affligées. Combien a-t-on écrit et parlé contre le baccalauréat, la préparation artificielle et illusoire qu’il suscite, les efforts stériles de mémoire dont il est l’occasion, les prétentions qu’il donne aux jeunes gens pour leurs carrières futures ! Le certificat d’études est la réduction du baccalauréat à l’usage des classes populaires ; il en a tous les inconvéniens. Un homme qui ne saurait être suspect en ces matières, M. Francisque Sarcey, l’un de ceux qui ont le plus contribué, il y a quinze ans, à déterminer la direction que suit l’état pour l’enseignement primaire, a fini par s’émouvoir des maux qu’enfantent les excès de zèle bureaucratique. Son robuste bon sens n’a pu résister à un aussi lamentable spectacle. Confident des gémissemens de quelques instituteurs intelligens, il nous montre le pauvre maître d’école triant ses élèves, portant tous ses soins sur celui qui semble avoir quelque facilité