Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

garde toute sa force contre ses alliés du moment. M. Jules Ferry et ses amis, de leur côté, manœuvrent pour avoir avant tout le scrutin d’arrondissement ; ils n’ont suspendu les hostilités contre le ministère que pour mieux atteindre leur but, et lorsqu’ils auront ce qu’ils désirent, ils entendent bien reprendre leur liberté. On est à deux de jeu ; la partie est engagée, elle est digne des circonstances !

Pendant ce temps, devant le pays, dont l’impatience s’accroît, les affaires deviennent ce qu’elles peuvent. Les chambres achèvent de voter un budget que M. le ministre des finances et M. Tirard lui-même trouvent merveilleux, mais où le déficit se cache sous toutes les formes d’emprunts déguisés, de garanties d’intérêts, d’obligations incessamment renouvelées. Au Palais-Bourbon, une majorité effarée et ignorante vote au pas de charge, sans réflexion, une partie de cette éternelle loi militaire qui ne peut donner rien de ce qu’elle promet, qui ne serait que la désorganisation de l’armée, mais qui assure aux passions radicales la suprême satisfaction de l’enrôlement des séminaristes. Et c’est ainsi que nous entrons dans cette année nouvelle, où les passions des hommes ont mis d’avance tant d’obscurités et de contradictions, où l’avenir peut dépendre de bien des incidens imprévus, mais aussi de la France elle-même, impatiente de retrouver, avec la paix intérieure, la dignité et la force de sa position dans le monde.

Sans doute l’inconnu est pour tout le monde dans cette année qui va s’ouvrir. Il est de toutes parts : il est en Orient, dans ces régions des Balkans, la Bulgarie, la Serbie, où s’agitent Bans cesse tant de questions périlleuses qui restent sans dénouaient ; il est dans l’Occident, pour tous les peuples qui ont leurs intérêts et leurs passions, dont les rivalités peuvent à tout instant rallumer les conflits sur une frontière mal surveillée ou à propos d’un incident mal interprété. L’inconnu règne en Europe, c’est trop visible ! Peut-être, cependant, au milieu de tant de troubles et d’armemens retentissans, toujours menaçans, les chances de la paix ont-elles plutôt augmenté que diminué depuis quelque temps. Il en sera, c’est bien sûr, ce qui pourra : provisoirement, on s’attend un peu moins à tout. Entre toutes ces puissances qui occupent la surface du continent, qui ne cessent de s’observer comme si elles devaient se rencontrer demain sur quelque champ de bataille, les querelles de ces derniers mois semblent momentanément assoupies. On dirait que les journaux chargés d’envenimer les suspicions et de sonner le tocsin à tout propos sentent que l’heure n’est pas favorable. Ils ne parlent plus tout à fait autant des concentrations russes ou des agressions françaises. La triple alliance aile-même est devenue moins bruyante et nous laisse un peu tranquilles. Que l’année, qui va commencer sous ces auspices, dans ces conditions d’une paix relative, continue de même, c’est tout ce qu’il