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de mettre en cause la politique de conquête, de dire que tous les embarras du jour tenaient à une première faute, l’annexion de l’Alsace-Lorraine, — que de là tout découlait, et la nécessité des armemens démesurés, et l’accroissement incessant des charges publiques, et le protectionnisme qui paralyse les intérêts du peuple allemand. Ce que M. Liebknecht a osé dire aussi, c’est que l’excitation perpétuelle qu’on entretient dans les esprits, le fantôme de l’agression française qu’on évoque sans cesse, ne sont que des moyens de domination et de compression à l’intérieur. Il n’en sera vraisemblablement ni plus ni moins ; le parlement de Berlin votera tout ce qu’on lui demandera pour les armemens comme pour la politique coloniale. N’importe, ce qui a été dit, même par un député socialiste, reste dit, et si on a cru nécessaire de lui répondre, c’est qu’on a craint que de telles idées ne se répandent en Allemagne.

Les affaires qui occupent aujourd’hui les gouvernemens de l’Europe sont au loin, disons-nous. Elles ont évidemment leur intérêt, et l’Angleterre, dont le parlement va prendre son congé de Noël, l’Angleterre elle-même n’est point sans s’inquiéter assez vivement depuis quelques jours de deux de ces affaires lointaines où elle est plus ou moins engagée. L’une est cette expédition des côtes de Zanzibar, qu’elle s’est décidée à poursuivre en commun avec l’Allemague. Depuis que le cabinet de Saint-James s’est lié par une convention avec le cabinet de Berlin pour cette entreprise un peu étrange, les événemens ont commencé à se dessiner sur le théâtre même où l’on est convenu de montrer. le pavillon européen. L’amiral Deinhard, chef des forces allemandes devant les côtes de Zanzibar, s’est concerté avec l’amiral anglais Fremantle, et d’un commun accord le blocus a été déclaré. Jusque-là, rien de mieux, rien de plus régulier ; mais l’opération, comme il était facile de le prévoir, n’a pas tardé à se compliquer, et elle a marché plus vite que ne le croyaient peut-être les Anglais. De nouveaux incidens se sont produits sur cette côte inhospitalière. Dans une petite localité du littoral, à Bagamoyo, les colons allemands ont été attaqués par des forces considérables, aux ordres d’un chef indigène, et ils ont été massacrés en partie ; ceux qui n’ont pas péri ne se sont sauvés que par la fuite. Aussitôt l’amiral allemand, d’accord, à ce qu’il semble, avec les Italiens, a débarqué des troupes et a repris possession de Bagamoyo, qu’il occupe depuis ce moment. Il ne paraît pas s’être entendu pour ce débarquement avec l’amiral Fremantle. Maintenant est-ce le commencement d’opérations plus étendues que les Allemands pourraient être fatalement entraînés à poursuivre pour assurer la protection de loi rs colons et de leurs établissemens ? C’est là une conséquence que les Allemands ont évidemment prévue, que le cabinet de Londres avait espéré détourner. C’est ce qui inquiète