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Trois actes de Roméo : le second, le quatrième (sauf le ballet) et le dernier sont purs de presque toute tache; mais le second est, je crois, le plus immaculé. Il est supérieur même à l’acte du jardin de Faust, d’abord par l’égalité et la continuité de l’inspiration. D’un bout à l’autre, il est conduit avec une délicatesse exquise, sans une halte, sans une secousse; il coule tout uniment, il passe d’une seule haleine, et quand il a passé, à peine en a-t-on senti la douceur trop fugitive.

Il est supérieur encore au troisième acte de Faust, sinon par l’intensité, du moins par la chasteté du sentiment. Deux fiancés le chantent, c’est-à-dire deux êtres heureux entre les heureux, mais purs entre les purs. Ah! qu’il ressemble peu au jardin de Marguerite, le jardin de Juliette ! Comme il entend un autre dialogue ! Rien dans le rôle de Juliette ne trahit le trouble ni la volupté; l’esprit, ou le cœur, est aussi prompt chez elle que chez Marguerite, mais la chair est moins faible. Rappelez-vous, sur ces seuls mots: Et pourtant j’écoute! quelle langueur amollissait la voix de la petite Allemande prise au premier piège d’amour. Quand s’échappait des lèvres de Gretchen l’aveu de sa défaillance : Ah! je t’adore, pour toi je veux mourir! quel abandon, quelle chute adorable, mais quelle chute !

Enfin, dans le duo de Roméo, la forme musicale est encore plus libre, plus ondoyante et diverse que dans celui de Faust. Elle se prête avec plus de souplesse aux moindres variations du sentiment. Toutes les mélodies (et elles sont innombrables) s’enchaînent et se déduisent les unes des autres ; les rythmes, les mouvemens ne font que changer, et l’acte entier, merveille d’unité et de variété à la fois, brille, comme un diamant à facettes, de mille reflets changeans.

Dès le début, tandis que le rideau se lève sur la scène encore vide, le prélude enveloppe de mystère le jardin endormi. Quelle différence entre ce commencement et celui du troisième acte de Faust! Combien je préfère ce paysage à l’inutile romance du malencontreux Siebel ! Indiqué par la cantilène des violens, l’effet de nuit et de calme est encore accentué par le petit chœur des compagnons de Roméo. Roméo demeure seul, la fenêtre de Juliette s’illumine, et une simple modulation, quelques accords d’instrumens à vent tombés en triolets et d’une chute lente, expriment bien le rayonnement de cette clarté bénie. La partie intermédiaire de la belle cavatine : Ah! lève-toi, soleil! celle qui relie les deux couplets, est accompagnée par un orchestre qui jase et que traversent mille soupirs, mille vagues murmures. A partir de ces mots : Elle rêve! Elle dénoue une boucle de cheveux! sur l’ondulation continue des violens passent tour à tour des contre-chants de flûte, de clarinette, et un hautbois solitaire, par une arabesque délicieuse, ramène le motif du commencement.

A la cavatine de Roméo la scène suivante se rattache tout naturellement par deux simples accords de harpes, et, sur une note inattendue,