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aux mains des Anglais, mais avec elles l’armée, les finances, l’administration du cours du Nil et presque toutes les administrations.

Sous Ismaïl-Pacha, longtemps avant l’organisation ruineuse de cette police, un voyageur pouvait aller seul d’Alexandrie à Khartoum sans crainte d’être volé ou assassiné. Les villages offraient de telles sécurités, qu’on y dormait les portes et les fenêtres ouvertes. Il n’en est plus ainsi, car des bandes armées procèdent au pillage des maisons isolées et en massacrent les propriétaires, s’ils font résistance. C’est en 1882 que se formèrent pour la première fois ces bandes de pillards, et, coïncidence bien singulière, en même temps que se formaient au Caire la police et la gendarmerie étrangères. Ces assauts contre les propriétés ont été, depuis, tellement fréquens, qu’il a fallu, pour les combattre, instituer des cours martiales dans chaque centre important de population rurale. Les pouvoirs exceptionnels de ces conseils de guerre ont été renouvelés d’année en année; ils subsistent toujours, sans donner de bons résultats. A qui la faute? A la gendarmerie, qui ne les a pas secondés, et, malgré une réorganisation trois ou quatre fois renouvelée, les gendarmes anglais arrivent toujours trop tard, comme les carabiniers d’Offenbach. « Les loups aiment les nuits sombres, » dit un proverbe turc. Il est certain que les Anglais ont intérêt à laisser continuer ce brigandage pour pouvoir dire que, sans eux, l’Egypte ne serait pas habitable, et que, s’ils s’y perpétuent, c’est pour son bien. On y était en sécurité avant qu’ils y vinssent; qui peut affirmer qu’on n’y serait pas encore quand ils s’en iront? Je viens d’apprendre que le premier soin de Riaz-Pacha a été de s’occuper de cette importante question.

A la demande de ceux qui le protégeaient si bien, le khédive Tewfik-Pacha supprima les peines corporelles. Le moment ne pouvait être plus mal choisi pour opérer cette réforme. Champollion a reproduit, par le dessin, un bas-relief du temps des Pharaons, qui nous montre comment se donnait la bastonnade aux Égyptiens d’alors. Ceux d’aujourd’hui, dans le contentement de se voir à l’abri d’un châtiment tellement ancien qu’il était passé dans leurs coutumes, ont commis des excès à rendre les prisons trop étroites pendant un certain temps. On abolit également la corvée, mesure des plus équitables; mais les bras, qui déjà manquaient, firent de plus en plus défaut.

On se souvient peut-être que l’Europe avait imposé à l’ex-khédive deux contrôleurs chargés de veiller sur ses actes. L’occupation anglaise les supprima parce que l’un d’eux était Français et qu’il pouvait devenir gênant. Cette mesure, en apparence si peu importante, était l’invitation formelle par l’Angleterre à la France de se