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que l’Europe lui imposait, Tewfik laissait trop croire que l’Égypte n’était plus gouvernée par ses souverains propres. C’était comme une aggravation à cette loi cruelle qui. depuis des milliers de siècles:, place ce pays sous la domination de dynasties étrangères.

Dans ces conditions, il n’y a rien d’étrange à ce qu’il se soit formé un parti national, et que l’apparition de ce parti ait causé en Égypte un frémissement à peu près général. Quelle en était la composition? On y voyait des officiers mis à la retraite par une maladroite mesure d’économie, d’anciens fonctionnaires que le départ d’Ismaïl avait mis sur le pavé, des Turcs ayant les Arabes en horreur, et ceux-ci le leur rendant au centuple; on y trouvait des jeunes Égyptiens qui, ayant fait en Europe leurs études, souhaitaient l’indépendance de leur pays et la liberté au Caire comme à Londres et à Paris. Il y en avait qu’indignaient la création du contrôle européen, l’ingérence d’un si grand nombre d’étrangers dans les ministères, et jusqu’à la cession, bien que temporaire, de terres domaniales à des banquiers étrangers.

La presse arabe, comme la presse européenne en Égypte, jusqu’alors fort contenue, tenait un langage d’une violence extrême et qui faisait pleuvoir sur elle les avertissemens et les suspensions. Elle se montrait hostile aux Français, et ne manquait jamais de rappeler à ses lecteurs que nous avions ravi l’Algérie d’l’islam, et que nous; allions charger de chaînes le dey de Tunis, sans se douter que ce serait cette campagne de Tunisie qui empêcherait la France d’agir avec l’Angleterre à Alexandrie. Cette presse n’avait pas non plus de tendresse pour l’Angleterre, et ses attaques furent si vives, que lord Granville crut devoir écrire à son agent une lettre curieuse à rappeler et à résumer :

« J’apprends, écrivait à M. Mallet le noble lord, qu’une fausse appréciation existe dans l’esprit d’une très grande partie de la population au sujet de la politique de Sa Majesté britannique dans les affaires égyptiennes, et je désire dissiper ce malentendu. Sa politique n’a d’autre but que la prospérité du pays et sa pleine jouissance de cette liberté qu’il a obtenue en vertu de divers firmans... Dans notre pensée, la prospérité de l’Égypte dépend, comme celle de tous les pays, du progrès et de la prospérité du peuple. C’est pourquoi nous avons, en toute circonstance, insisté auprès du gouvernement du khédive pour l’adoption de mesures qui sont de nature à élever le peuple d’un état de sujétion et d’oppression à un état de prospérité et de liberté... On m’informe que le sentiment général est que le ministre Riaz-Pacha a l’appui particulier de l’Angleterre, est que le khédive le maintient au pouvoir pour ne pas mécontenter le gouvernement de Sa Majesté. Sa Majesté pense qu’un