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J’étais encore au Caire en février dernier, juste au moment où sir E. Baring exigeait que l’on donnât le ministère de l’intérieur à l’une de ses créatures. Nubar-Pacha s’y opposa de la façon la plus énergique, car, s’il eût cédé, l’Égypte khédiviale n’existait plus que nominalement. La scène qui se passa au palais d’Abdin, en présence de son altesse, fut des plus violentes. Elle se termina par l’envoi immédiat, à Londres, du gendre de Nubar, homme de qualité et de grande distinction. Cet ambassadeur, son excellence Tigrane-Pacha, fut chargé de faire connaître au ministère britannique les nouvelles exigences du résident anglais, exigences qui réduisaient le khédive à un semblant d’indépendance et ses ministres à un semblant de dignité.

Et voyez comme l’ex-ministre et ses collègues ont quelque raison de nous détester. Juste au moment où Nubar allait sacrifier sa haute situation pour défendre le pays contre un nouvel accaparement, lorsque, en raison de ce fait, un retour à des vues plus justes se produisait au Caire en notre faveur, un grand journal de Paris publiait contre l’ex-ministre des affaires étrangères en Égypte une correspondance pleine de malveillance.

M. E. Baring, s’agitant comme s’il était, dès à présent, le vice-roi d’un pays qu’en ses rêves il voit peut-être à ses pieds, souhaite mener plusieurs projets à bonne fin : débarrasser l’Égypte de trois administrations, les domaines, la daïra-sanieh ou domaines princiers, et les chemins de fer, parce que ces trois administrations comprennent le seul élément français indépendant ; forcer le khédive à remettre entre ses mains le ministère de l’intérieur pour y placer ses créatures ; et finalement, infuser du sang nouveau, — Lisez anglais ! — Dans les membres du corps judiciaire indigène. Mieux vaudrait tout de suite inviter le khédive à quitter la place, ou le prier de se contenter, comme les princes des Indes anglaises, d’une situation modeste et que ne lui envierait pas son ancien colonel rebelle Arabi. Riaz-Pacha et son ministère auront besoin de toute l’énergie dont on les croit capables pour éviter un pareil effacement.


VII. — ARABI, MASSACRES D’ALEXANDRIE.

Les mesures prises pour relever le pays de l’ornière où Ismaïl-Pacha l’avait fait tomber n’étaient pas faites pour satisfaire tout le monde, et ce n’était pas le nouveau khédive, jeune, inexpérimenté, habilement entretenu dans son antipathie pour nous par l’agent anglais, M. Mallet, aujourd’hui à Berlin, qui pouvait tenir tête à l’orage qui menaçait. Contraint de s’effacer devant les conseillers