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d’imagination, il devait cependant mourir fou ; homme de goûts simples et modestes, il se levait à six heures du matin, été comme hiver, tenait pour efféminé d’avoir un tapis dans sa chambre, proscrivait le feu dans son antichambre, où se morfondait sa suite. Souverain médiocre, mais consciencieux, il laissa gouverner le grand Pitt, qui tenait le pouvoir et le garda, prodiguant à la royauté apparente les respects dus au rang et n’en faisant qu’à sa volonté. On se figure mal l’illustre lord Chatham pliant ses genoux goutteux devant ce souverain effacé ; on le comprend mieux glissant des banknotes de 500 livres dans les manchettes des lords récalcitrans, qui les dissimulaient avec grâce et votaient ensuite complaisamment. George III fit ce qu’on lui dit de faire et s’en trouva bien. Il n’en fit à sa guise que pour son mariage.

— Qui voudra jamais épouser une pauvre petite princesse comme moi? disait un jour Charlotte de Mecklembourg-Strelitz à son amie et confidente Ida von Bulow, en se promenant dans le triste jardin de Strelitz.

— Princesse, voici le prétendant, répondit Ida en riant, au moment où un laquais passait, porteur d’une missive.

Elle disait vrai sans le savoir. L’héritier du trône d’Angleterre avait lu, par hasard, une lettre que la jeune princesse adressait à une de ses amies d’Angleterre, lettre dans laquelle elle déplorait, en un style ampoulé, les horreurs de la guerre, exaltant les bienfaits de la paix. Il n’en avait pas fallu davantage pour lui gagner le cœur de l’honnête George III, pour faire oublier à ce prince la juvénile passion qu’avaient successivement éveillée en lui la blonde Anna Lightfoot et la brune Sarah Lennox. Il demanda la main de la princesse Charlotte, qu’on n’eut garde de lui refuser. « Quand il la vit, disent les mémoires du temps, débarquer à Londres, il fit quelque peu la grimace. » Elle était petite et grasse, laide et gauche; mais il en prit son parti, l’épousa et l’aima.

Il était pacifique d’humeur et le prouvait, choisissant sa femme sur le vu de quelques phrases banales en l’honneur de la paix; et cependant, de 1760 à 1810, il fut toujours en guerre : avec la France et l’Autriche dans la guerre de sept ans, avec les colonies révoltées d’Amérique, puis avec la république, le directoire, le consulat et l’empire. L’Angleterre le voulait ainsi; ainsi l’avaient décidé ses ministres, représentans de cette opinion publique qu’il faisait sienne, à laquelle il obéissait, croyant se guider d’après ses propres lumières et en possédant peu. Dans ce cadre démesuré d’événemens, son intelligence vacillait. Il s’appliquait, faisait de son mieux pour comprendre, étudiait la géographie, apprenait par cœur l’annuaire militaire, connaissait, comme pas un, tous les