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déconcertant les timides qui se rejettent en arrière, favorisant les audacieux qui se portent en avant. Révolution politique, réveil patriotique ou religieux, explosion socialiste ou évolution commerciale ont leurs prodromes que peut à peine discerner au début l’œil le plus clairvoyant.

Souvent on attribue à une sagacité merveilleuse, à un génie divinateur, ce qui n’est chez certains hommes qu’une tendance naturelle à devancer un courant dont l’instinct leur révèle l’existence, et l’on fait honneur à leur prescience des faveurs de la fortune. Il les ont conquises par d’autres qualités ; par la persévérance et l’esprit de suite, souvent aussi par une foi aveugle, car les divinités que l’homme se forge exigent de lui qu’il soit tout à elles. A tenter de remonter certains courans, on risque fort de se noyer ; parfois, en les suivant, ils vous mènent au port. James Baird suivit le sien, qui le déposa sans encombre sur un lit de millions.

Nous avons exposé dans nos précédentes études le point de départ de la grande évolution commerciale qui, d’Angleterre, gagna le reste du monde, révolutionnant l’industrie par les découvertes d’Arkwright, Hargreaves, Crompton, Kelly, Watt, etc. James Baird avait alors vingt ans. Il était fils d’un pauvre fermier d’Ecosse, qui peinait sur son champ et en tirait à peine de quoi nourrir sa femme et ses enfans. James l’aidait de son mieux, parce qu’il était travailleur; mais il savait aussi compter, et le résultat de ses calculs fut qu’arrivé à l’âge d’homme, il se prit à soupçonner qu’il avait mieux à faire que de s’entêter dans un labeur ingrat. Esprit curieux, il regarda et questionna. Ce qu’il vit et ce qu’il entendit lui donna bon courage. L’industrie secouait sa longue torpeur, on s’entretenait des inventions nouvelles, des machines à vapeur auxquelles on croyait peu encore, des chemins de fer auxquels on ne croyait pas du tout, des métiers à tisser dont on disait merveille, des mines de 1er que l’on exploitait, des mines de houille dont on commençait à se préoccuper.

James Baird ne possédait ni l’instruction nécessaire pour se rendre un compte exact de la valeur et de l’importance des découvertes modernes, ni le génie divinateur qui en tient lieu, mais il avait le sens droit, l’esprit juste, et il s’entendait à rapprocher les faits et à en déduire les conséquences. Il comprit que ces inventions nouvelles allaient forcément donner une grande impulsion à la métallurgie, et, par suite, accroître considérablement la consommation de la houille. Elle abondait dans le district où était située la ferme paternelle, et James Baird, qui fréquentait volontiers tous ceux dont il pouvait tirer quelque renseignement pratique, avait appris des mineurs à reconnaître les terrains houillers. A peu de distance de sa demeure, il en découvrit un, se mit à l’œuvre, et, bientôt,