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la chaudière tabulaire dont l’emploi décuplait la puissance de l’appareil moteur, incertain seulement sur le point de savoir si mieux valait échelonner, de distance en distance, sur la voie, des machines fixes qui auraient tiré les wagons à l’aide de cordes ou de chaînes, mais convaincu, enfin, par les irréfutables argumens de George Stephenson, qui avait, lui aussi, étudié la question et ne mettait pas en doute la supériorité de sa locomotive mobile attelée au train et l’emportant avec elle. Converti, il lui fallut convertir ses associés, puis obtenir une modification dans le bill parlementaire déjà voté, l’autorisant à substituer la traction par la vapeur à la traction par les chevaux. Son projet, que l’on tenait déjà pour chimérique avant cette adjonction, le parut bien plus encore, et tout autre que le doux et obstiné quaker y eût renoncé en présence de l’opposition qu’on lui fit et des sarcasmes qu’il dut essuyer. Mais il tint bon; l’idée était juste, ses plans bien conçus et sa foi en George Stephenson complète. A dater de ce jour, il devint l’admirateur fervent de son humble solliciteur ; il l’attacha, en qualité d’ingénieur, à la ligne nouvelle, aux appointemens de 300 livres sterling (7,500 fr.) par année. Il fit plus : ouvrant largement sa caisse, il lui avança les capitaux nécessaires pour créer à Newcastle un atelier de locomotives ; il l’aida de ses conseils, de ses suggestions et de son appui moral.

Riche et célèbre, George Stephenson n’oublia jamais l’ami qui lui tendit, aux jours difficiles, une main secourable et aida ses débuts. Il conserva toujours pour M. Pease une reconnaissance et une affection sincères, et ce dernier, à la fin de ses jours, portait constamment sur lui une montre magnifique que lui avait donnée son illustre protégé et sur laquelle il avait fait graver ces mots : « George Stephenson à Edward Pease, témoignage d’estime et de gratitude. »

Edward Pease vécut jusqu’à l’âge avancé de quatre-vingt-onze ans. Il s’éteignit en 1858, après avoir posé les solides assises de la grande fortune de sa maison. Ses concitoyens le désignaient sous le nom de w Père des chemins de fer. » Il vécut assez pour voir réaliser les rêves conçus par lui et son ami Stephenson, pour assister à la prodigieuse impulsion donnée par les voies ferrées à toutes les branches de l’activité humaine, pour recevoir des habitans de Darlington, de ce modeste village dont la population s’élevait à 2,000 âmes quand il s’y établit, et en compte 70,000 aujourd’hui, l’un des plus éclatans hommages qu’un homme eût encore reçus de ses concitoyens. En 1857, les habitans de Darlington ratifiaient, par un vote unanime, une résolution soumise à leurs suffrages par la municipalité, et portant que : « Profondément reconnaissans à