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Propriétaire de la ville, il n’a imposé aux habitans, tous ses locataires, qu’une seule restriction : la vente des boissons spiritueuses est absolument interdite; il n’existe à Saltaire aucun cabaret ni débit de vin, aussi l’ivrognerie y est-elle presque inconnue. Le taux de la mortalité y est plus bas que dans aucun des villages environnans, et les statistiques criminelles y constatent un nombre moindre de délits que partout ailleurs.

Le jour où il inaugurait cette fabrique monumentale, M. Salt s’associait ses trois fils. Depuis lors, l’impulsion donnée à la fabrication ne fit que s’accroître et sa fortune que grandir. Elle devint telle, que ce fils de fermier put distribuer, en peu d’années, plus de 15 millions en charité, non compris ce que lui. coûtaient Saltaire et ses œuvres d’utilité publique, sans que son immense fortune en fût diminuée. Sa fabrique comblait, et au-delà, les vides que faisait dans sa caisse son inépuisable générosité.

Nommé baronet par la reine, élu membre du parlement, sir Titus Salt vit s’élever, sur la place publique de Bradford, sa propre statue. Une souscription publique à cet effet avait, en peu de jours, produit une somme de 75,000 francs. Le duc de Devonshire présidait à cette cérémonie.

Deux ans après, le 29 décembre 1876, sir Titus Salt mourait à Saltaire, et cent mille personnes suivaient, dans les rues de Bradford, le convoi de cet homme de bien.


III.

François Bacon, qui s’y connaissait, et qui, dans le cours de sa longue vie, rencontra pour le moins autant de hasards heureux que de circonstances adverses, affirmait que a man of genius makes more opportunties than he finds, qu’un homme de génie fait naître plus d’occasions qu’il n’en trouve. Certains hommes ont excellé, en effet, à faire naître les occasions propices et à tourner les difficultés, sans toutefois sacrifier leurs principes à leur habileté, comme le fit trop souvent Bacon. Dans le nombre et au premier rang des industriels heureux devenus d’opulens millionnaires figure la dynastie des Pease, de Darlington.

Si leur savoir-faire est devenu proverbial en Angleterre, leur génie commercial et leur haute probité se sont transmis de père en fils; la grande fortune qu’ils possèdent est l’œuvre patiente de plusieurs générations fidèles aux mêmes traditions et douées des mêmes facultés éminentes. Le premier de cette dynastie qui conquit la fortune, Edward Pease, naquit, vers 1770, dans une condition modeste. Son père possédait et exploitait, dans le village de